[Chronique] Je m’appelle Lucy Barton d’Elizabeth Strout

Publié aux éditions Fayard – 30 août 2017 – 208 pages
Merci aux éditions Fayard pour cette lecture

Hospitalisée à la suite d’une opération, Lucy Barton reçoit la visite impromptue de sa mère, avec laquelle elle avait perdu tout contact. Tandis que celle-ci se perd en commérages, convoquant les fantômes du passé, Lucy se trouve plongée dans les souvenirs de son enfance dans une petite ville de l’Illinois – la pauvreté extrême, honteuse, la rudesse de son père, et finalement son départ pour New York, qui l’a définitivement isolée des siens. Peu à peu, Lucy est amenée à évoquer son propre mariage, ses deux filles, et ses débuts de romancière dans le New York des années 1980. Une vie entière se déploie à travers le récit lucide et pétri d’humanité de Lucy, tout en éclairant la relation entre une mère et sa fille, faite d’incompréhension, d’incommunicabilité, mais aussi d’une entente profonde.
Salué comme un chef-d’oeuvre par la critique littéraire aux États-Unis, Je m’appelle Lucy Barton est un grand roman contemporain sur la solitude, le désir et l’amour.

Je tiens à remercier Fayard qui a eu la gentillesse de m’envoyer ce roman de la rentrée littéraire qui m’interpellait. Les retrouvailles entre Lucy et sa mère m’intriguaient et j’avais envie de comprendre cette relation aussi complexe qu’on pourrait l’imaginer. De plus, les livres traitant de thèmes forts comme la solitude, le désir ou encore l’amour sont souvent ceux qui m’attirent le plus. Et je peux vous dire que j’ai passé un très bon moment, un peu atypique, avouons-le, avec cette femme qui se souvient, qui, pourtant encore jeune, regarde son passé avec une certaine nostalgie.

« La solitude est le premier goût que m’a laissé la vie, et il ne m’a jamais quittée, toujours tapi dans les interstices de ma bouche, comme un rappel. »

Lucy est hospitalisée et son état n’est pas au mieux. Elle doit donc rester en convalescence à l’hôpital où elle va devoir affronter sa peur de mourir, mais surtout sa peur de la solitude. Lorsque nous faisons connaissance avec Lucy, nous apprenons qu’elle est mariée et a deux filles. Mais rapidement, nous comprenons que ces derniers pourront que très peu la visiter en raison des circonstances professionnelles et scolaires. Ainsi, Lucy qui n’a plus vraiment de contact avec sa famille, se retrouve isolée dans sa chambre et ses journées sont rythmées par les passages des infirmières et surtout du Dr auquel elle va s’attacher. Pourtant, un matin, elle reçoit la visite impromptue de sa mère. Cette mère qui apporte tout le passé de Lucy, les personnages de son histoire et ce qu’ils sont devenus. Au fil des commérages, Lucy s’interroge sur sa propre vie, ses parents, les choix qui ont alors été faits, mais aussi sur le poids de l’héritage familial et la lourde culpabilité qu’il peut laisser sur nos frêles épaules. Au travers de tous ces souvenirs de vie, d’instants saisis au vol, nous comprenons la véritable quête identitaire de Lucy et ses efforts pour comprendre sa mère, mais aussi son père. Quand on sait que bien des choses sont restées cachées… Lucy se questionne sur le sens de la paternité, de la maternité. Des secrets ressortiront, de la manière la plus pudique qu’il soit et notre femme malade nous entraine avec une grande facilité sur les traces de sa vie.

Le climat, l’ambiance même du récit est très particulier. Nous comprenons très rapidement que la présence de sa mère est, pour Lucy, aussi douloureuse que nécessaire. Les deux femmes ne se parlent plus depuis des années, et Lucy garde une certaine rancœur. Appelons cela, un manque d’amour, un manque de compréhension. Pourtant, pendant 5 jours, elles vont être ensemble, en permanence, la mère ne dormant que très peu. Lucy va demander à sa mère de lui parler de gens de son passé, celui qu’elle a laissé pour se marier, et sa mère, experte en commérages va lui peindre des tableaux, bien souvent sinistres. Lucy revient sur les années de pauvreté, celles dont elle avait si honte. Sur les cris et les gestes impudiques. Sur un père qu’elle a toujours redouté et qui lui a fait du mal dont il ne faudra jamais parler. Lucy divague parfois dans la douleur, mais nous sentons la force, la puissance des émotions qui vient nous percuter de plein de fouets, tel un raz de marée empli de sentiments. Nous ne pouvons que poursuivre notre lecture, même si le but du roman n’est pas des plus clairs. Nous nous accrochons à l’histoire, voulons comprendre pourquoi Lucy se sent coupable de tant de choses. L’héritage familial, la pauvreté, l’isolement, la solitude en dépit d’une famille construite, sont des thèmes abordés avec une justesse incroyable et touchante.

« Les livres m’apportaient quelque chose. Grâce à eux, je me sentais moins seule. Et je pensais : moi aussi, un jour, j’écrirai et les gens ne se sentiront plus aussi seuls ! »

La chambre d’hôpital sera le huis clos de cette relation mère fille où les confessions sont à l’ordre du jour. Mais toujours sous extrême pudeur. Pas question de prononcer la phrase magique « je t’aime », mais plutôt de raconter. Autour de cette sinistre chambre, le soleil apporté par le médecin. Mais surtout les deux personnages : Lucy et sa mère. Alors que la mère est une fière descendante de colon, Lucy, elle, en a honte. Honte de ce que sa famille a fait aux véritables habitants de l’Illinois. Quant à son père, c’est encore plus complexe et nous comprendrons vite que pour Lucy, qui pendant ces semaines d’hospitalisation s’analyse en profondeur, rien n’est clair. La communication reste au cœur du problème et notre patiente le regrette amèrement. Mais que donnent les regrets ? Brillante écrivaine de son époque, Lucy aspire à poursuivre sa route, libérée des fardeaux.

La plume est efficace. Simple, directe, franche. Pas de fioritures, mais une authenticité remarquable. Elle se fait belle et douce quand il le faut, plus rude à d’autres moments, mais l’histoire nous est livrée avec une sincérité émouvante, déconcertante. Nous ressentons les peines de Lucy et tentons de comprendre le poids de son passé. Elizabeth Strout a fait de ces personnages deux femmes authentiques, différentes, mais unies par un lien absolument unique, celui de la filiation. En dépit de ses souffrances d’enfant, de sa honte de la pauvreté et de l’origine de ses parents, Lucy éprouve une affection sincère pour eux. Cependant, elle aurait juste besoin de se sentir aimée des siens à nouveau. Car quelle autre manière de se sentir isolée, seule au monde ? Toutefois, Lucy, élevée dans la retenue et la pudeur, le secret et la dissimulation habiles, restera, vis-à-vis du lecteur assez froide, assez distante, enfouissant le pire pour ne pas se laisser surprendre pour son poids. Secrète, elle nous offrira aussi des moments de vie ordinaire, telle sa rencontre avec une écrivaine qui viendra changer sa vie. Finalement, au-delà de sa quête identitaire, Lucy nous fera réaliser la complexité des liens qui peuvent unir des personnes entre elles. Ces racines qui entourent votre cœur, parfois sans jamais en trouver le chemin.

Je m’appelle Lucy Barton entre dans la catégorie des romans contemporains explorant des thématiques universelles. Solitude, pauvreté, isolement, regrets, désir, amour, tous viennent à notre rencontre dans le récit de ces semaines d’hospitalisation et surtout pendant les quelques jours partagés avec une mère qui n’a su dire « je t’aime ». Une analyse en profondeur, une quête identitaire touchante.

10 réflexions sur “[Chronique] Je m’appelle Lucy Barton d’Elizabeth Strout

  1. Vampilou fait son Cinéma dit :

    Bon, celui-là c’est certain, il me le faut absolument ! Les thèmes que tu as mis en avant me parlent évidemment beaucoup, alors merci beaucoup pour la découverte ma belle 😃

    J’aime

  2. Long Live Idols dit :

    « un grand roman contemporain sur la solitude, le désir et l’amour »
    => Il n’en a pas fallu plus pour attirer mon attention, it rings a bell !

    La couverture, simple, m’indique que c’est un livre sur lequel mon regard ne se poserait pas en librairie, et pourtant, d’après ce que tu en dis, j’ai la certitude qu’il me plairait. Et que je pourrais verser une petite larme. Bref, je l’ajoute à ma wishlist de ce pas. Merci pour cette découverte !

    J’aime

    • BettieRose dit :

      Bonjour Mimi21,
      J’avoue que, pour ma part, je n’en ai pas la moindre idée. Sur Amazon, il n’est pas référencé en poche pour une éventuelle précommande. À vérifier régulièrement sur Google, ou alors peut-être demander directement aux éditions Fayard ?
      Par contre, j’ai totalement loupé la sortie de Tout est possible. Je vais aller voir cela de plus près, merci beaucoup pour l’information et belles lectures.

      J’aime

Un petit mot ? Une réaction ? Une émotion à partager ?

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.