[Chronique] Seuls les enfants savent aimer : Cali prend la plume et cela donne un roman hommage bouleversant…

Publié aux éditions Cherche Midi – 18 janvier 2018- 190 pages
Merci à Benoît et aux éditions Chercher Midi pour cette lecture

 

Seuls les enfants savent aimer.
Seuls les enfants aperçoivent l’amour au loin, qui arrive de toute sa lenteur, de toute sa douceur, pour venir nous consumer.
Seuls les enfants embrassent le désespoir vertigineux de la solitude quand l’amour s’en va.
Seuls les enfants meurent d’amour.
Seuls les enfants jouent leur coeur à chaque instant, à chaque souffle.
À chaque seconde le coeur d’un enfant explose.
Tu me manques à crever, maman.
Jusqu’à quand vas-tu mourir ?

Ce roman m’est parvenu par surprise, de la part du Cherche midi et surtout de Benoît, quasi certain que le texte me plairait. J’ai donc eu la totale surprise de la découverte. Je n’ai lu que la 4e de couverture avant de me lancer dans la lecture. Je n’ai pas pu reposer le livre, pas pu prendre ma respiration, j’ai lu d’une traite et j’ai souffert avec le petit Cali. C’est une chronique qui est particulièrement difficile à écrire. Car, si je n’ai pas de père, j’ai toujours ma mère et je ne peux imaginer une vie sans elle. Il me suffit de regarder sa détresse, face à l’absence de la sienne, pour comprendre. Comprendre ce que Cali a voulu écrire ici. Quel courage de se confronter à un deuil, à son enfance, à la pire perte qui soit pour un premier roman. Pourtant, le chanteur est parfaitement à l’aise dans sa peau d’auteur et nous livre ici un récit intimiste sans jamais tomber dans le voyeurisme.

Nous allons suivre le petit Cali, 6 ans, quel âge pour perdre sa maman ! Mais au fond, existe-t-il un « âge idéal » pour souffrir d’une telle perte ? Malade, sa maman s’en va et Cali est jugé trop petit pour assister aux obsèques. Alors on le laisse à la maison et au loin il observe le cortège. Sa maman, mais aussi la maitresse d’école. Deux repères partis au fin fond de la terre, comme le cercueil de celle qu’on enterre. Nous commençons donc notre roman sur une introduction poignante :

« L’heure que je n’ai pas vécue. Ton enterrement. Ils m’ont dit de rester à la maison, et je me retrouve là, dans ta chambre, près du lit. Je vois leur peine. Et leurs larmes sous le soleil. Je vois cela à travers le volet mal fermé. Ça pleure, ça gémit, ça se tient par les mains. Les uns derrière les autres, à petits pas. Ils empruntent la route qui mène à la place de l’Entente-Cordiale. Ensuite, tu le sais, ça monte et on arrive au pied de l’église. […] Je n’ai pas le droit d’être avec eux. Ils ont dit que j’étais trop jeune pour affronter la mort. Pas de taille pour être à tes côtés, marcher avec eux derrière toi. Si, je te le jure maman. Trop jeune pour voir ce truc en bois descendre dans un trou creusé au cimetière. […]

J’ai six ans. Et je suis seul à guetter depuis cette chambre plongée dans le noir. Ils vont bientôt revenir de là-bas, du chemin creux derrière l’église. J’ai six et j’attends. J’attends quoi ? Je ne sais pas. »

« Je me suis penché sur ton lit ; tu m’as serré dans tes bras. Oh pas grand-chose, tu n’as pas la force de papa. Rien du tout mais beaucoup.
Tu as caressé ma joue avec ton pource, doucement. Je t’ai entendue murmurer des mots « Je t’aime, mon petit Bruno ». Ensuite un faible « Au revoir ». Ensuite plus rien. Papa m’a dit : « Maman s’est endormie. » Il a ajouté : « N’oublie pas ». Alors je me suis glissé près de ton oreille et j’ai soufflé aussi délicatement que tu me parlais : « Bon anniversaire, maman chérie. » C’était le 3 janvier. Tu avais trente-trois ans depuis le matin. »

Si je vous ai mis autant de texte de citations, ce que je ne citerai que très peu du reste du livre. Non pas par pudeur ou pour garder pour moi cette lecture à la fois intimiste et universelle dans la douleur qu’elle raconte, mais parce que ce livre est un hommage bouleversant, poignant. Qu’il appartient à l’auteur de vous le faire découvrir, au lecteur de le ressentir. Bruno n’a que six ans et plus de maman. Mais au fond, que sait-on de la mort quand on est encore un enfant. Trop petit pour l’affronter lors de l’enterrement, mais bien obligé de faire avec par la suite. Maman ne reviendra pas. Bruno va devoir continuer à grandir, avancer, faire ses expériences, être un bon garçon, autant que possible et taire sa douleur, sa colère qui gronde. Celle de l’injustice qui prive un enfant de sa mère, qui affecte une si jeune femme d’une maladie dont elle ne réchappera pas, celle de ne pouvoir vraiment mettre les mots sur ses émotions, ses sentiments. A-t-il seulement le droit de pleurer ? De crier ? Non, il faut avancer.

L’auteur nous raconte ainsi ses émotions et sentiments, expériences et découvertes dans les mois qui entourent la tragique perte. Beaucoup d’émotions, mais jamais d’incitation à plaindre le petit Bruno. Non, Cali donne à l’enfant qu’il était la parole dont il était alors privé. Sans prêter des émotions réservées aux adultes, il offre la compréhension et la verbalisation de souffrances trop longtemps contenues. Libératoire, ce récit le fut peut-être. Mais je préfère le considérer pour la grande beauté de son essence : un hommage d’un enfant à celle qui l’a mis au monde. Même si le temps a passé, une mère, on ne l’oublie pas.

Le petit Bruno nous emporte dans ses souvenirs et ses rires. Nous parle de sa famille, puis de ses camarades et de l’école. À six ans, c’est tout notre univers. Cali le confesse, l’enfant a besoin d’amour, de se sentir entouré, compris. Et puis cette rencontre avec le nouveau de l’école qui va venir tout chambouler dans la vie de Bruno. Un enfant qui va être important dans le deuil et la reconstruction. Bien entendu, la vie du jeune Bruno sera truffée d’épreuves, mais nous nous concentrons vraiment sur cette période « restreinte » d’acceptation. Accepter la mort ne veut pas dire que cela fait moins mal. Juste que l’on a compris son caractère définitif. L’absence. Le silence. Les ténèbres.

« Depuis ton départ, un voile noir a recouvert notre maison. Nous peignons tes silences sur les papiers chagrin des murs. »

Mais Bruno voit aussi la souffrance de son père et aimerait retrouver celui qu’il était avant. Si les enfants ont perdu leur mère, l’adulte lui a perdu son épouse. Alors l’ainée de la famille, Sandra, naturellement prend tout en charge. Est-ce que cela l’aide à faire son deuil ? Bruno contemple, comme extérieur à la scène, comme quelqu’un qui cherche le mot qui lui manque pour expulser sa propre souffrance. À l’école, il joue, il rit, il est amoureux, il vibre. Il fait sa vie d’enfant, mais la lourdeur du chagrin continue de peser sur ses épaules. Nous avons envie de lui tendre la main, de le prendre dans nos bras, mais nous n’aurions aucune légitimité à dire « ça va aller ». Parce qu’une fois une maman partie, est-ce que seulement ça ira réellement un jour ? Le gouffre sombre au cœur même de la poitrine n’est-il pas ouvert à tout jamais ?

Cali, pour moi c’était « juste » un chanteur (heureusement, on est bien plus que son métier, je me comprends bien entendu). Que je n’écoute pas en raison d’un style musical éloigné de mes goûts et que j’ai pourtant vu en concert, donner de l’amour comme d’autres donneraient leur tee-shirt. Désormais, Cali est pour moi un auteur à la sensibilité extraordinaire, à la plume poétique et dramatique tout en gardant une grande douceur, une luminosité façonnée par l’amour. Ce roman témoignage nous fait marcher dans les pas d’un enfant, avec le regard de l’adulte qu’il est devenu tout en gardant les pensées liées au jeune âge du petit Bruno. C’est vibrant d’authenticité, de vérité. Nous ressentons les émotions, les capturons dans les gouttes d’eau formées par nos larmes. Mais à l’issue de notre lecture, nous n’avons qu’une envie : remercier Cali de s’être livré dans ce récit. Non pas pour connaitre sa vie intime, non. Mais pour avoir partagé une souffrance sur laquelle poser des mots n’est pas toujours évident. D’avoir donné une voix et une légitimité à tout ceux qui ne peuvent pas pleurer, ne savent pas le faire. Mais cette année là, Cali va connaitre d’autres deuils, moins violents, moins saisissants, mais donnant à la vie sa dure réalité : un jour, elle se finit, et rien ni personne ne peut y réchapper.

« Il est où, Dieu? »

Seuls les enfants savent aimer est le premier roman de Cali, un roman autobiographique poignant. Loin de raconter sa gloire, il nous raconte l’enfant de 6 qu’il était, seul face à la mort de sa mère, seul face à un deuil qu’il ne sait comment porter. En avançant, pendant quelques mois, il va trouver l’amour dans d’autres incarnations, mais toujours aimera sa maman. C’est un sacré courage qu’il faut pour parler de l’enfant face à la mort, face à l’absence. Cali signe ici un roman fabuleux et exceptionnel. Émotions et amour au rendez-vous…

Je ne sais pas si parler de coup de cœur est approprié pour ce genre d’œuvre littéraire. Comment aimer la mort de quelqu’un et la souffrance de son descendant ? Véritablement, c’est la façon dont Cali se livre au lecteur qui vient nous bouleverser, nous toucher. Nous ne voyons pas l’adulte qu’il est devenu, mais rien que l’enfant de six ans qu’il était et le tunnel d’ombres qu’il a dû traverser pour rallumer les étoiles de son ciel, une à une, grâce à l’amour de ceux qui l’entourent.

« Tu me manques à crever, maman.
Jusqu’à quand vas-tu mourir ? »

« On revient toujours gueuler sur la tombe de sa mère comme un chien abandonné. Jamais plus, jamais plus, jamais plus. » Roman Gary

19 réflexions sur “[Chronique] Seuls les enfants savent aimer : Cali prend la plume et cela donne un roman hommage bouleversant…

  1. Morgane dit :

    Je viens de finir de lire ta chrinique
    Je file acheté ce livre…
    Cali, le chanteur me bouleverse à chaque concert.
    Il se fout à poil. Un artiste, un homme d une générosité incroyable.
    J ai maintenant hâte de découvrir… Cali autrement.
    Je sais déjà que je ne serai pas déçue et qu’ une fois que j’aurai ouvert son livre je ne le refermemerai qu’ une fois fini.

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  2. Serena dit :

    Coucou,
    Ohlala ce roman a l’air tellement poignant mais je ne sais pas si j’arriverais à le lire sans pleurer du début à la fin. C’est le genre de livre que je lis très rapidement mais qui peut me remuer pendant des mois et des mois.
    En tout cas ta chronique a su me toucher en profondeur ! Et ta citation de Gary me parle aussi !
    Gros bisous à toi 🙂

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  3. laroussebouquine dit :

    Tes chroniques m’hallucinent toujours par leur taille… A chaque fois je me dis qu’il faudrait que je m’installe confortablement avec un thé pour te lire ! (ne t’en fais pas,c’est que c’est toujours un régal).
    En tout cas, cette lecture a l’air pour le moins poignante… Je ne m’étais pas penchée dessus car je ne suis pas très « lecture people », mais je vois que ce n’est pas absolument pas ce genre de romans, c’est finalement bien plus intime !

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  4. louloutediary dit :

    Le résumé du livre et ta chronique m’ont mis les frissons. Je suis très sensible à ce genre de témoignages (et très sensible tout court) et le livre de Cali me toucherait forcément.
    Depuis que je suis Maman, je chéris encore plus la mienne, et même si je sais qu’un jour elle partira, je n’arrive pas à y penser.
    Bon .. je crois que je vais agrandir ma wishlist !
    J’espère que les migraines se sont calmées.
    Bonne fin de soirée
    Elsa

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