[Chronique] Les vies de papier de Rabih Alameddine

lesviesdepapierPublié aux éditions Les Escales – Rentrée littéraire – 25 août 2016 – 432 pages

Merci aux éditions Les Escales pour cette lecture

resumeAaliya Saleh, 72 ans, les cheveux bleus, est inclassable. Mariée à 16 ans à « un insecte impuissant », elle a été répudiée au bout de quatre ans. Pas de mari, pas d’enfant, pas de religion… Non conventionnelle et un brin obsessionnelle, elle a toujours lutté à sa manière contre le carcan imposé par la société libanaise. Une seule passion l’anime: la littérature. Elle a en effet pour les mots un désir inextinguible. À tel point que, chaque année, le 1er janvier, elle commence à traduire en arabe l’un de ses romans préférés. Un travail ambitieux qui finit toujours par échouer dans un tiroir. Car les quelque trente-sept livres traduits par Aaliya au cours de sa vie n’ont jamais été lus par qui que ce soit.

Ce portrait d’une femme solitaire en pleine crise existentielle oscille sans cesse entre passé et présent dans un Beyrouth en constante mutation. Tandis qu’elle essaye de maîtriser son corps vieillissant et la spontanéité de ses émotions, Aaliya doit faire face à une catastrophe inimaginable qui menace de faire voler sa vie en éclats. Son ton mordant ne nous laisse pas indemne.
Rabih Alameddine nous livre un roman bouleversant qui célèbre la vie singulière d’une discrète obsessionnelle et révèle la beauté et l’horreur de Beyrouth. Les Vies de papier est une déclaration d’amour à la littérature et à la façon dont elle peut nous définir.

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Dans ce roman à la plume originale, nous allons suivre Aaliya, notre narratrice. Aaliya n’est pas tout à fait comme les autres, sans pourtant chercher à afficher sa singularité. Ce qu’elle veut ? Être libre et se plonger dans sa passion de la littérature. Cette ancienne libraire nous confie son projet annuel : la traduction d’un ouvrage en arabe, comme d’ailleurs, chaque année. Mais Aaliya est aussi le formidable portrait d’une femme vieillissante et dont le corps ne répond plus vraiment comme avant. Femme solitaire en plein Beyrouth, elle nous narre son passé et son présent sur un ton qui lui appartient, usant et abusant de digressions.

Un récit alourdi par trop de digressions

Et c’est justement sur ce point que j’ai bloqué. Si j’apprécie énormément les romans alternants passé et présent, ici, les trop longues et bien trop nombreuses digressions de la vieille femme finissent pas couper le fil du récit et nous lasser. Le lecteur se retrouve alors pris dans des considérations et souvenirs qu’il peine à apprécier et intégrer. Certes, cela nous permet de mieux comprendre la libraire et sa forte personnalité, mais cela alourdit considérablement le récit qui s’annonçait pourtant captivant. Le roman souffre donc d’un rythme pénible et il est difficile de tout assimiler, assembler.

Toutefois, ce récit nous offre le portrait d’une femme solitaire, confrontée à une crise existentielle, en plein Beyrouth. Une femme divorcée, seule et nullipare, fermement opposée aux diktats de son pays ou d’une quelconque religion. Aaliya est dans une situation de rupture familiale et parvenait jusqu’alors à s’en accommoder. Mais quand le passé frappe (lourdement) à votre porte, est-il possible de l’ignorer ? Cette femme qui préfère la compagnie du papier à celle de ses proches nous abreuve de citations, références et conseils littéraires.

Une construction sans chapitre, mais des portraits féminins saisissants

Si la plume est indéniablement bonne, la construction du récit, sans chapitre, vient là aussi alourdir l’expérience de lecture. Tout est écrit selon le fil de pensées de la vieille femme et malheureusement il nous est parfois difficile de s’y repérer ou d’accrocher. Au travers du regard d’Aaliya c’est une ambiance mélancolique qui nous est proposée, parfois avec regrets et amertume. Pourrait-il en être autrement quand on a passé toute sa vie à Beyrouth ? Elle nous permettra aussi, et c’est là la grande force du roman, d’observer divers portraits de femmes libanaises. Il est évident que bien peu ont fait le choix de solitude et de liberté d’Aaliya, cette drôle de femme aux cheveux (accidentellement) bleus. Mais la liberté ne saurait suffire au bonheur…Aaliya a bien connu l’amitié mais depuis le départ d’Hannah, elle reste seule. Pourtant, ses voisines, proches les unes des autres ne demandent qu’à l’aimer, et ce malgré leur drôle de caractère. Des situations de voisinages caricaturales et cocasses, mais tellement touchantes ou hilarantes qu’on aurait presque envie de vivre dans son immeuble. Les vies de papier incarne alors une formidable histoire d’amitié féminine.

Les récits des moments de guerre, bien que peu développés, nous permettent de nous immerger dans ce que fut le quotidien des habitants du pays, tout comme dans sa réalité actuelle. Notons aussi que l’auteur nous offre ici une véritable ode à la littérature et que la passion d’Aaliya est palpable, contagieuse. La plume est agréable, parfois cynique et drôle, d’autres fois plus dramatique, respectant le fil émotionnel de notre narratrice, mais une chose ne change pas : l’amour des livres. Il est incroyable de voir à quel point cette femme a consacré sa vie aux livres, aux mots et aux traductions, dans un pays qui pourtant ne s’en préoccupe pas plus que cela. Comment avoir accès à la culture quand rien que l’accès aux vivres est difficile en temps de guerre ? Aaliya nous racontera son quotidien quand elle travaillait à la libraire et comment elle a pu lire autant.

enbref

Les vies de papier est un véritable portrait de femme, celui d’Aaliya qui a choisi la liberté et la solitude dans un pays aux diktats oppressants. Si la construction du récit s’était faite pour légère et plus fluide, ce roman aurait pu être absolument magnifique. A découvrir quand même pour l’ode à la littérature et pour la beauté des valeurs véhiculées via des portraits saisissant de femmes libanaises.

MANOTE

13/20

3flamants

Et parce que cette citation est juste :

BOOKLIST

« Le remarquable roman d’Alameddine est un éloge à la fiction, à la poésie et à l’amitié féminine. Plongez vous à l’intérieur de sa prose vive et intelligente et vous en sortirez avec une envie folle de lire davantage. »

29 réflexions sur “[Chronique] Les vies de papier de Rabih Alameddine

  1. ducalmelucette dit :

    Je suis heureuse d’avoir ton avis car ce roman avait retenu mon attention. En revanche, je risquerai très certainement d’avoir du mal à le lire à cause des longueurs, et l’absence de chapitres ne me plaît pas, donc pour le moment je laisse tomber.

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