[Chronique] La nuit introuvable de Gabrielle Tuloup, un premier roman poignant.

Publié aux éditions Philippe Rey – Février 2018 – 160 pages
Merci à l’agence Anne et Arnaud pour cette lecture

 

Nathan Weiss vient d’avoir quarante ans lorsqu’il reçoit un appel d’une inconnue : sa mère Marthe souhaite le revoir en urgence. Cette mère, voilà quatre ans, depuis le décès de son père, qu’il s’efforce de l’oublier. Ce n’est pas un hasard s’il s’est expatrié jusqu’en Slovénie.

Il va pourtant obéir et revenir à Paris. Sa mère a changé : elle est atteinte d’Alzheimer et ne le reconnaît presque plus. Nathan apprend alors que Marthe a confié huit lettres à sa voisine, avec pour instruction de les lui remettre selon un calendrier précis. Il se sent manipulé par ce jeu qui va toutefois l’intriguer dès l’ouverture de la première lettre.

Ces textes d’une mère à son fils, d’une poignante sincérité, vont éclairer Nathan sur la jeunesse de Marthe, sur le couple qu’elle formait avec son mari Jacques, la difficulté qu’elle avait à aimer ce fils envers qui elle était si froide. Tandis qu’il découvre ce testament familial, Nathan se débat avec ses amours impossibles, sa solitude, ses fuites. Et si la résolution de ses propres empêchements de vivre se trouvait dans les lettres que Marthe a semées pour tenter de réparer le passé ?

Dans ce premier roman, d’une écriture sensible et poétique, Gabrielle Tuloup décrit l’émouvant chassé-croisé de deux êtres qui tentent de se retrouver avant que la nuit recouvre leur mémoire.

Lors de ma lecture de ce roman, le monde autour n’existait plus. Je ne pouvais pas quitter Nathan et Marthe, impossible. La plume si poétique, sensible, émouvante m’a totalement fait perdre la notion du temps. Eh oui, le récit m’a ému. Je ne vous apprends rien de plus que la 4e de couverture en vous parlant ici d’Alzheimer. C’est une maladie qui fait peur, les gens qui ont connu des cas dans leur entourage, n’en ressortent pas indemnes. C’est un trouble que l’on subit, contre lequel nous restons tous impuissants. Et la personne atteinte de ce mal vicieux est dépossédée, petit à petit, de son essence, de son âme. Car qu’est-ce que l’âme si plus rien n’existe ? Si l’on oublie même de vivre ?

Nathan Weiss a tiré un trait sur sa mère il y a déjà quatre ans, à la suite du décès de son père, seul parent dont il était proche. Sa mère, Marthe, il ne la connait pas, il ne l’a jamais connu, ils ne se sont jamais aimés. Nathan a même choisi de s’exiler en Slovénie et de refaire sa vie. Plus rien ne le retient en France, après un mariage foireux et la perte de son père. Pourtant, il reçoit un appel, d’une certaine Jeanne, voisine et vieille amie de sa mère. « Il faut que nous discutions. » Lui dit-elle. Elle sait qu’ils sont brouillés, mais quand même. « Votre mère est malade. Elle m’a laissé une lettre avec des consignes pour vous. » Nathan n’en revient pas ! Cette mère qui n’en a jamais été une sort du silence au bout de quatre ans pour lui laisser des consignes ? Et puis quoi, encore ! Il n’est plus un gosse. Sa mère est malade, impossible de rester dans le déni. Si les souvenirs persistent, ils sont dénués de chaleur maternelle.

« Silence contre silence. Chacun dans sa tranchée. Le plus loin possible. J’ai accueilli avec soulagement la proposition de la banque où je travaille. Il fallait surveiller la gestion d’un budget d’une filiale en Slovénie. Déborah et moi venions de divorcer, un bain de bureaucrates passionnés de chiffres serait une retraite idéale pour un garçon comme moi. Je réduisais la durée de mes séjours parisiens, et quand l’heure du rendez-vous au siège le permettait, je faisais l’aller-retour dans la journée. Je m’évitais les désagréments d’une nuit en territoire miné. C’est plus difficile de lutter contre les angoisses ennemies dans l’obscurité. »

 Je pense que lorsqu’on est assez proches de la quarantaine (pour ma part, je vais avoir 36 cette année), il est aisé de se référer à Nathan, de s’identifier et de se demander, ce que nous, on ferait à sa place ? Nous savons bien qu’Alzheimer est irréversible et qu’à part regarder la maladie s’installer, nous ne pouvons pas faire grand-chose d’autre. Alors pourquoi cette mère veut-elle transmettre une lettre à son fils ? Nathan n’a pas le choix que d’aller à la rencontre de Jeanne, parce qu’il faut comprendre. Jeanne se montre intransigeante sur les consignes et Nathan va devoir appliquer les règles s’il veut comprendre. Depuis quelque temps, la maladie a pris le pas sur sa mère et les lettres furent écrites déjà deux ans auparavant. Pour lui livrer ce qu’elle n’a jamais révélé à personne. Pour enfin lever le voile sur le mystère de son existence. Pour être sinon pardonnée, au moins entendue. Pour laisser trace de son histoire.

Bien entendu, Nathan va vite se retrouver bouleversé dans toute cette histoire. Pourtant, il va se prendre au jeu des lettres et apprendre qui était sa mère. À chaque déplacement parisien, il lui rend visite, parfois tout se passe bien et d’autres… la maladie les percute. Nathan n’est pas un mauvais garçon, c’est un garçon qui n’a pas été aimé par sa maman, qui pourtant, en avait terriblement besoin. Un homme en mal d’amour qui va alors le chercher là où il n’est pourtant pas. Des amours et des rêves impossibles comme des fantaisistes espoirs pour survivre. Les voyages de Nathan sont rythmés par ses moments avec Marthe, qu’il voit petit à petit sous un autre jour, à mesure que la nuit la recouvre pourtant, mais aussi par des moments heureux échangés avec Carolina, l’aide ménagère de Marthe, et Jeanne, cette amie si fidèle, qui finalement est très sympathique.

« C’est difficile de croire que la vie ne s’arrête pas avec la voix. »

Nous allons donc suivre l’histoire le temps d’une année, de 8 lettres qui crescendo dévoilent l’essence d’une femme qui l’a désormais oubliée. Le récit est construit sur cette dualité : à mesure que Nathan reconstitue les pièces du puzzle de la vie de sa mère, la pauvre femme elle, les perd à jamais. Marthe nous touche profondément dans toute cette histoire, j’avoue avoir été émue, touchée, par ce qu’elle a vécu, parce qu’elle s’est astreinte à faire, par sa pénitence et son chagrin. Je ne suis pas maman et pourtant j’ai eu cette sensation certaine de la comprendre. Sensation offerte par la beauté d’une plume criante de vérité, juste, sensible, poétique. Les mots sont beaux, mais utiles, chacun raconte quelque chose, chaque ligne nous emmène plus loin dans ce récit d’amour, d’oubli, de pardon. L’heure des regrets ? Non, il faut profiter du temps qu’il reste, vivre avant d’oublier… Ce premier roman prouve que l’auteure est capable de grandes choses et j’espère déjà la lire de nouveau. Sa plume m’a vraiment plu, la fluidité, le sarcasme, les pensées et réflexions, la nature humaine peinte avec tellement d’authenticité…

« Désormais, c’était moi qui regardais ma mère. Elle était restée là-bas. Les parois s’étaient progressivement resserrées. Ce n’était plus la vie, ce n’était pas encore le repos. Introuvable. Elle était comme coincée au fond d’elle-même. Dans une pénombre fraîche.
Et, parfois, tout s’éclairait. Fulgurance de la lumière. »

Au-delà de l’histoire d’un fils face à la maladie de sa mère, c’est l’histoire d’une femme brisée qui nous est offerte. Le récit poignant d’une existence faite de blessures et d’erreurs. De secrets et de pudeur. Suivre l’histoire de Marthe, au travers de ses lettres, devient pour nous essentiel, nous voulons, tout comme le protagoniste, recréer la vie de cette femme, et quelle frustration que d’y arriver quand, en elle, tout est désormais pulvérisé. Son amour avec Jacques. Ce qu’elle était avant lui. Que devient-on dans l’oubli ? Qui sommes-nous sans nos souvenirs ? Autant de questions, délicates et sensibles, émouvantes, percutantes. Un sublime récit que je ne peux que recommander, autant pour le texte en lui-même que pour la beauté des mots.

La nuit introuvable est un fabuleux premier roman sur le sujet délicat de l’amour filial et de l’oubli. Si le récit traite de la maladie et des souvenirs qui reconstituent l’essence d’une femme qui n’a pas su être mère, le style enlevé et poétique, efficace et sensible, nous pousse à nous interroger sur notre propre existence et les traces qu’on en laisse. Secrets et non-dits auront-ils raison de la relation filiale ou est-il encore tant de dire les mots qui comptent ?

Rien à ajouter, petit bijou d’émotion, j’ai même commencé cette chronique les larmes aux yeux, en souvenir des bouleversements émotionnels ressentis à la lecture. Une plume fabuleuse, que je suis heureuse d’avoir croisée sur mon chemin de lectrice.

8 réflexions sur “[Chronique] La nuit introuvable de Gabrielle Tuloup, un premier roman poignant.

  1. Vampilou fait son Cinéma dit :

    Le sujet est terrible, je pense que c’est l’une de nos plus grandes peurs, oublier, ça peut tous nous toucher…Évidemment, je suis plus que tentée, tu sais à quel point l’émotion est importante pour moi, alors je note sans aucune hésitation !

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  2. La route des lecteurs dit :

    Alzheimer est une maladie qui m’intéresse, qui m’intrigue énormément. Pourtant, je n’ai pas été directement touché dans mon entourage mais j’ai pu réaliser un stage en maison de repos.
    Je ne m’étais pas penchée sur ce roman avant ta chronique mais tu me donnes envie de moi aussi lire cette histoire !

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    • BettieRose dit :

      Tu sais, je ne pense pas qu’il soit nécessaire d’avoir été touché de près (famille) par la maladie pour y être sensible. J’imagine que ton stage fut éprouvant. J’aimerai énormément travailler avec les personnes en fin de vie, faire de l’accompagnement mais il faut pouvoir y faire face.
      En tout cas, pour un premier roman, c’est au top.

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