[Chronique] Americanah de Chimamanda Ngozi Adichie

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Publié aux Éditions Folio (version poche) – 2016 – 685 pages

Reçu en partenariat avec Livraddict et Folio, un grand merci pour cette lecture

 

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«En descendant de l’avion à Lagos, j’ai eu l’impression d’avoir cessé d’être noire.»

Ifemelu quitte le Nigeria pour aller faire ses études à Philadelphie. Jeune et inexpérimentée, elle laisse derrière elle son grand amour, Obinze, éternel admirateur de l’Amérique qui compte bien la rejoindre.
Mais comment rester soi lorsqu’on change de continent, lorsque soudainement la couleur de votre peau prend un sens et une importance que vous ne lui aviez jamais donnés?
Pendant quinze ans, Ifemelu tentera de trouver sa place aux États-Unis, un pays profondément marqué par le racisme et la discrimination. De défaites en réussites, elle trace son chemin, pour finir par revenir sur ses pas, jusque chez elle, au Nigeria.

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Pourquoi ai-je choisi de lire ce livre ? À l’origine, j’avais prévu de l’acheter pour participer au projet de Cassandra (Croque les mots) « Faire le tour du monde ». La 1re escale étant consacrée à l’Afrique, elle nous a laissé voter parmi une sélection de romans. Mon choix s’est de suite porté sur Americanah et ce malgré le nombre de pages (quasiment 700 pages, c’est une jolie brique). Ayant eu, récemment, deux expériences littéraires intéressantes auprès d’auteurs africains, j’avais vraiment envie de partir à la découverte d’un autre pays du continent, ici le Nigeria. Alors quand Livraddict et Folio ont proposé un partenariat sur ce titre je n’ai pas hésité une seule seconde. Et je ne regrette pas non plus. J’ai passé un moment exceptionnel auprès d’Ifemelu. Voyons voir pourquoi?

L’histoire est celle d’Ifemelu, mais aussi celle d’Obinze, et à travers eux, celle de nombreux Nigériens. Ifemelu, jeune fille intelligente et au caractère affirmé, qui ne sait pas se taire et dit tout ce qu’elle pense, quitte le pays pour tenter sa chance aux États-Unis et y étudier. Obinze, l’amour de sa vie, reste au Nigéria en attendant de pouvoir, lui aussi, y vivre quelque chose auprès d’elle. Mais Ifemelu va être confrontée à quelque chose de nouveau pour elle : la conscience d’être Noire. Jamais elle n’aurait pensé que sa couleur de peau (et ses cheveux par ailleurs), et même au-delà, sa race (elle nous expliquera la différence d’être afro américain ou noir non américain aux U.S.A.) puissent prendre autant d’importance. Comment, alors, rester soi-même dans un pays profondément raciste et où la discrimination n’est pas une légende ? Près de 15 ans plus tard, elle rentre chez elle. L’occasion de faire le bilan. Entre des défaites et des réussites, Ifemelu nous tisse (comme les tresses dans ses cheveux) son histoire. S’y ajoutera celle d’Obinze et de ce qu’il est devenu sans elle.

Pourquoi Ifemelu a-t-elle quitté son pays ? Car le régime politique de l’époque n’y était pas le plus favorable, et que, même si elle avait de quoi se nourrir, se vêtir et étudier, un quotidien meilleur lui tendait alors les bras aux États-Unis. Comme un certain nombre de ses camarades, ou même sa tante, Ifemelu veut y tenter sa chance. Bien sûr, se séparer d’Obinze est difficile, ils sont tous les deux très amoureux. Mais ils font la promesse de s’y retrouver. 15 ans plus tard, Ifemelu prépare son retour. Il est évident que tout ne s’est pas déroulé comme prévu et que Obinze ne l’a jamais rejoint. Pourquoi ? Pendant qu’elle se fait tresser les cheveux, Ifemelu nous livre son histoire. La narration est à la troisième personne, mais nous donne pourtant une sensation de proximité énorme avec Ifemelu, mais aussi avec Obinze quand viendra le tour de son aventure à lui. La psychologie d’Ifemelu, tout comme celle d’Obinze ou des gens qui marquent leur histoire est incroyablement bien construite et détaillée. Au-delà des considérations capillaires, c’est au cœur d’une véritable quête identitaire et d’un apprentissage que nous entraine l’auteure.

Ifemelu va connaître de nombreuses expériences en Amérique. Des plus négatives aux plus belles. De la haine à l’amour. Des défaites au succès. Elle lancera un blog fascinant où elle racontera les gens croisés au hasard, les phrases entendues, les remarques et critiques. Un blog qui nous conduira sur des réflexions passionnantes et nous dressera un portrait plutôt acerbe des États-Unis. Car, même si Ifemelu finit par s’intégrer et connaître le succès, elle reste consciente des barrières sociologiques de la race. Il n’est pas seulement question de couleur de peau, mais de l’origine sociale de celle-ci. Mais Americanah c’est bien plus que l’histoire d’Ifemelu, cette femme de caractère à laquelle le lecteur s’attache immédiatement. C’est aussi l’histoire d’Obinze, tellement différente. Celle de Dike, son adorable petit cousin, très Américain, celle de nombreuses femmes et de nombreux hommes que l’on croisera à un moment à un autre.

De retour au Nigéria, Ifemelu cesse d’être Noire. Mais, elle est devenue une Américaine, une Americanah et doit donc retrouver ses repères. C’est une formidable histoire abordant beaucoup de thèmes avec une clarté exceptionnelle et une plume vive, captivante. La toute dernière partie du roman est certes, un peu moins ambiancée, mais nous nous y sentons bien. Americanah est aussi une sublime histoire d’amour, celle d’Obinze et Ifemelu. La narration est tellement appréciable que le livre se dévore rapidement. Au travers de cet apprentissage, l’auteure nous confie une vraie leçon d’humanité et nous fait voyager en pleine culture nigérienne. Elle garde un œil critique sur le pays et n’enjolive jamais les choses, pas plus qu’elle ne le fait avec les États-Unis ou l’Angleterre.

Il y aurait beaucoup à dire sur ce roman tant il est complet, mais plutôt que de vous raconter en détail ce qui en fait un excellent livre, je préfère vous laisser le plaisir de le lire et de vous attacher à Ifemelu qui vous manquera rapidement pour sa rhétorique incroyable et son tempérament de feu, une fois les dernières pages lues. Un roman qui nous chamboule et nous ouvre les yeux sur le quotidien de milliers de personnes victimes de racisme et de discrimination. Plus que jamais d’actualité, les nombreux flashbacks peignant les aventures et mésaventures de nos personnages, ne pourront pas vous laisser indifférents. Un formidable livre abordant une incroyable diversité de sujet sans jamais perdre le lecteur et tout en parvenant à lui ouvrir les yeux sur des aspects méconnus = c’est tout le talent dont fait preuve Chimamanda dans Americannah. De considérations capillaires en problématiques raciales, c’est un roman d’apprentissage et d’amour exceptionnel qui nous est ici offert.

 

enbref

Americanah est un roman qui se vit au travers de sa lecture. Il est tellement riche en thématiques qu’aucune chronique ne peut lui rendre hommage. Une plume remarquable, des sujets délicats et bouleversants venant rencontrer des personnages attachants, ce tout forme une histoire exceptionnelle, d’amour et d’apprentissage, entre le Nigéria et les États-Unis.

MANOTE

18/20

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CITATIONS

« Si vous dites que la race n’a jamais été un problème, c’est uniquement parce que vous souhaitez qu’il n’y ait pas de problème. Moi-même je ne me sentais pas noire , je suis devenue noire qu’en arrivant en Amérique. Quand vous êtes noire en Amérique et que vous tombez amoureuse d’un Blanc, la race ne compte pas tant que vous êtes seuls car il s’agit seulement de vous, et de celui que vous aimez. Mais dès l’instant où vous mettez le pied dehors, la race compte. Seulement nous n’en parlons pas. Nous ne mentionnons même pas devant nos partenaires blancs les petites choses qui nous choquent et que nous voudrions qu’ils comprennent mieux, parce que nous craignons qu’ils jugent notre réaction exagérée ou nous trouvent trop sensibles. »

« Les Américains disent parfois « culture » au lieu de race. Quand ils disent d’un film qu’il est « grand public » cela signifie « Il plaît aux Blancs ou des Blancs l’ont réalisé. » Quand ils disent « urbain » cela signifie noir et pauvre, éventuellement dangereux et potentiellement excitant. « Connotations raciales » veut dire ce que nous hésitons à dire « raciste ». »

« Alexa et les autres invités, peut-être même Georgina, comprenaient tous la fuite devant la guerre, devant la pauvreté qui broyait l’âme humaine, mais ils étaient incapables de comprendre le besoin d’échapper à la léthargie pesante du manque de choix. Ils ne comprenaient pas les gens comme lui, qui avaient été bien nourris, n’avaient pas manqué d’eau, mais étaient englués dans l’insatisfaction, conditionné depuis leur naissance à regarder ailleurs, éternellement convaincus que la vie véritable se déroulait dans cet ailleurs, étaient aujourd’hui prêts à commettre des actes dangereux, des actes illégaux, pour pouvoir partir, bien qu’aucun d’entre eux ne meure de faim, n’ait été violé, ou ne fuie des villages incendiés, simplement avide d’avoir le choix, avide de certitude. »

« Cher Noir non Américain, quand tu fais le choix de venir en Amérique, tu deviens noir. Cesse de discuter. Cesse de dire je suis jamaïcain ou je suis ghanéen. L’Amérique s’en fiche. »

« En Amérique, le racisme existe mais les racistes ont disparu. Les racistes appartiennent au passé. … Quelqu’un devrait avoir pour mission de décider qui est raciste et qui ne l’est pas. À moins que le moment soit venu d’éliminer le mot « raciste ». De trouver quelque chose de nouveau. Comme « Syndrome de trouble racial ». Et on pourrait avoir plusieurs catégories pour ceux qui en sont affectés : bénin, moyen et grave »

« – C’est un roman, n’est-ce pas ? De quoi parle-t-il ?
Pourquoi les gens demandaient-ils ‘De quoi parle-t-il?’ Comme si un roman devait parler d’une seule chose. »

33 réflexions sur “[Chronique] Americanah de Chimamanda Ngozi Adichie

  1. eibhileen dit :

    C’est bête mais j’adore comment sonne le prénom du personnage principal de ce livre : Ifemelu. ça coule toute seul, c’est original et porteur d’un aspect sauvage je trouve. Je n’ai pas encore acheté Americanah, mais il me fait de l’œil en librairie très souvent : avec ton avis je suis prête à succomber…

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  2. Carnet Parisien dit :

    Voilà une chronique élogieuse. En te lisant, j’ai la sensation que je pourrais aimer ce roman. Malgré cela, je n’arrive pas à avoir envie de franchir le cap : peut-être est-ce la longueur imposante du récit, ou la couverture qui ne m’interpelle pas suffisamment… pourtant, je l’ai pris et repris dans mes mains en librairie plusieurs fois… Va savoir ^^ en tout cas, ton article était très intéressant à lire !

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    • BettieRose dit :

      Ah quand on ne le sent pas…on ne le sent pas. Et « se forcer » en partant avec pas d’envie risque de te faire passer à côté.
      C’est vrai qu’il est long. D’ailleurs j’ai lu sur d’autres blogs et discussions que pour certains lecteurs, c’était trop long et que cela ne se lisait pas assez vite, qu’il y avait des aspects qui trainaient trop.Je n’ai pas vraiment trouvé car j’étais vraiment attachée à Ifemelu et son caractère, du coup, même s’il ne se lit sans doute pas aussi vite que du YA ou de NA par exemple, je l’ai trouvé captivant du début à la fin, une vraie immersion et des réalités saisissantes.

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  3. Vampilou fait son Cinéma dit :

    J’aime beaucoup, il a l’air extrêmement complet ce roman, ça me tente énormément, surtout que c’est très différent de ce que je lis habituellement !

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  4. Femmesdelettres dit :

    C’est vrai que le personnage d’Ifemelu est finalement ce qui nous attache à l’intrigue et nous donne envie de le lire d’une traite ! Mais le message sur l’Occident est très sévère finalement, j’ai essayé de le montrer dans ma recension d’Americanah…

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