[Chronique] La fille qui n’existait pas de Natalie C. Anderson, une enquête fascinante sur les terres en guerre de l’Afrique

Publié aux éditions Pocket Jeunesse – Mars 2018 – 416 pages
Traduction : Julie Lafon
Merci à PKJ pour cette lecture

Tina ne vit pas, elle survit sur le toit d’un immeuble des bas-fonds de Sangui. Cambrioleuse la plus habile d’un gang kényan, elle ne pense qu’à une chose : venger sa mère assassinée par son ancien employeur, le nabab blanc M. Greyhill. L’occasion se présente enfin quand on lui demande de s’introduire dans la luxueuse villa de ce dernier. Prise sur le fait par Michael, le fils Greyhill avec lequel elle a grandi, Tina commence à douter. Submergés par les souvenirs de leur enfance, les deux jeunes gens décident de passer un marché… Entre les rues inquiétantes de Sangui et la guerre qui menace son village natal, Tina voit sa vengeance prendre un tournant qu’elle n’aurait jamais pu imaginer…

Lorsque PKJ a dévoilé la couverture de ce livre, j’ai de suite été interpellée. Le style graphique, très original, attire l’œil et l’héroïne se confond dans l’imprimé. Normal, me direz-vous pour une fille qui n’existe pas. Mais j’avais aussi remarqué autre chose : pour une fois, nous avons une héroïne noire en couverture. Eh oui, c’est important. Je me suis donc jetée sur ce livre avec plein d’espoirs et d’envies de découverte qui, croyez-moi, furent plus que comblés. Je ne m’étais pas attendue à un roman aussi complexe, complet, immersif et fascinant. Car notre jeune protagoniste est vraiment différente, parce que l’Afrique nous montre ses contrastes, des plus beaux aux plus laids. Et peut-être aussi parce que finalement, la quête de Tina n’est pas qu’une histoire de vengeance, mais également celle d’une construction identitaire, celle qu’elle n’a pas pu effectuer en temps en heure, celle d’une réfugiée.

Tina est une voleuse, c’est ce qu’elle sait faire de mieux. Depuis 5 ans, elle vit à la rue, sur son toit et collabore avec un gang de Sangui, terriblement dangereux. Tout ce que veut Tina c’est que sa petite sœur soit en sécurité et reçoive une éducation de qualité. Mais surtout, Tina prépare sa vengeance envers celui qu’elle soupçonne d’avoir assassiné sa mère. En effet, 5 ans auparavant, sa mère était tuée à coup de balle dans la poitrine. Pour Tina, le coupable est tout désigné : Mr Greyhill, le patron de sa mère, mais aussi son amant. Aveuglée par sa soif de vengeance, Tina mettra tout en place pour faire tomber l’homme qu’elle déteste. Mr Greyhill est un puissant entrepreneur blanc, qui semble tremper dans des affaires pas très claires. Mais Tina, jeune et impulsive, ignore tant de choses. Le soir où l’étape 1 de son plan devait être activée, elle se fait prendre… une première pour la jeune femme. Elle se retrouve alors face à face avec Michael, le fils Greyhill, mais aussi son ami d’enfance. Celui dont elle était si proche. Pas le choix, ils vont devoir collaborer, car Tina veut en finir. Mais Michael est sûr d’une chose : son père n’est pas l’assassin. Il s’engage alors à l’aider dans son enquête si elle, de son côté, promet de ne pas dévoiler les précieuses informations de type bombe à retardement, que son associé Skinny a piraté sur l’ordinateur du grand patron. Une enquête qui va pousser le trio Tina-Skinny-Michael très loin dans leurs retranchements, mais la soif de vengeance donne l’énergie nécessaire à la jeune femme, cela fait bien trop longtemps qu’elle attend ce moment. Mais si elle se trompait de cible ? Si Greyhill était vraiment innocent dans le meurtre de sa mère ?

Au cours de son enquête, Tina va découvrir de précieuses choses : des secrets. Et la jeune femme connait parfaitement la valeur de ces derniers. Si Greyhill apparaît comme une forteresse imprenable, rien n’arrête la jeune voleuse. Lorsque nous la rencontrons, Tina n’a rien d’une jeune fille vulnérable, cela fait des années qu’elle se débrouille seule et a réussi à intégrer le gang de Goondas, le plus dangereux de Sangui. Elle ne semble avoir besoin de personne et ne se plaint pas de son sort. Bien sûr, elle pleure sa mère, quoi de plus normal. Mais elle va également très vite se rendre compte qu’elle a peut-être hérité du tempérament de feu de cette dernière. Qui était Anju ? Quels sont ses secrets ? Tina va devoir se rendre au Congo, là où tu as commencé et assemblé les pièces d’un passé, petit à petit. Même si le temps leur est précieux. L’enquête, sous le joug d’un compte à rebours menaçant, va entrainer le lecteur du Kenya au Congo, et nous offrir la diversité d’un paysage certes, mais aussi la diversité humaine. Pire encore, l’auteure, dans une démarche d’authenticité nous fera découvrir les aspects les plus sombres de l’Afrique : esclavage dans les mines, violence des guerres, viols, gangs et milices. Une terre de contraste, très certainement comme pouvait l’être Anju Yvette. Après tout, Tina et sa mère sont des réfugiées, elles ont quitté la guerre du Congo pour une sécurité relative à Sangui, chez Mr Greyhill.

Tina est une jeune fille parfois impulsive, habituée à agir dans l’urgence et la discrétion. Si elle est très intelligence et rusée, elle ne mesure pas toujours le poids des adversaires et de leur réseau. Heureusement, Michael parvient souvent à tempérer la jeune femme. Les deux adolescents ont toujours été proches et le jeune garçon rêvait de retrouver Tina. Bien entendu, il ne peut pas la laisser assassiner son père, il est, pour lui innocent. De rencontre en rencontre, le lecteur va échafauder ses propres théories, en même temps que les certitudes de Tina vacillent. Car lorsqu’elle apprend certaines vérités sur sa mère ou encore sur Greyhill, tout bascule. L’auteure parvient vraiment à nous poser sur le fil, entre théories et complots, mensonges et vérités, drame et rencontres. Finalement, le lecteur est aussi perdu que Tina, mais garde la lucidité qui est, pour elle, éclipsée par sa vengeance qui macère depuis si longtemps. Et puis, nous avons Skinny, ce jeune métis homosexuel, qui est un NERD et petit génie de l’informatique. Il sera la voix de la raison, même s’il n’est pas homme de terrain. Victime d’insultes et harcèlement, c’est grâce à son habileté avec les données cryptées que le jeune hackeur s’est fait sa place. Mais lui ne vit que par Tina et il est prêt à tout pour elle.

L’amitié et la solidarité sont peut-être les seules choses qui vont rester pour Tina, même si elle a beaucoup de réticences à accorder sa confiance au fils Greyhill. Son retour sur ses terres natales s’accompagnera de violentes émotions et découvertes. À qui parler de l’enquête qu’ils mènent sans se mettre en danger ? Qui tire les ficelles ? Tellement complexe que la vérité tombera comme un couperet et fera mal, très mal. Tina est une héroïne exceptionnelle, qui n’abandonne jamais, après tout elle a survécu seule en terrain hostile. Mais c’est aussi une jeune fille qui voudrait encore pouvoir se blottir dans les bras de sa maman, avec sa petite sœur qu’elle aime tant. Bien sûr, la relation très forte que Tina et Michael ont vécue dans le passé va les rapprocher instinctivement. Si une légère tension amoureuse transparait, elle ne sera que très secondaire.

J’ai adoré ce roman, captivant du début à la fin. L’auteure a réussi à m’emporter dans des paysages et atmosphères inconnus, à me faire peur, me toucher et me révolter. La terre que nous allons arpenter est bien différente de la nôtre. Là-bas, les droits des humains sont plus que bafoués et on n’hésitera pas à nous parler des violences qui y règnent, du climat de terreur ambiant et surtout de la loi du plus fort pour régner sur l’or. Les milices et les gangs sèment les balles parmi le peuple innocent et tout le monde tente de prendre le contrôle de ce qui ne lui appartient pas. La diversité comme je le disais est particulièrement bien représentée. D’ailleurs, j’ai trouvé fascinant le questionnement apporté par Natalie C. Anderson sur la place des métisses en Afrique, eux qui ne sont ni noirs, ni blancs. Bien entendu, Skinny nous donnera aussi l’occasion de nous interroger sur le traitement réservé à l’homosexualité. C’est à la fois un tableau sombre et coloré qui nous est proposé. Car, pour qui sait regarder, la beauté des Terres est bien là. Reste à comprendre les lois qui nous dépassent, celles qu’aucun registre ne consigne, mais qui, à la force du sang qui coule, s’inscrivent dans les mœurs.

Précisons la légitimité de l’auteure à écrire sur ce sujet lourd d’importance. Car si l’on peut s’attendre à ce que le récit soit écrit par un Kenyan ou Congolais, il n’en est rien. Toutefois, notre plume nous propose un livre authentique, dans lequel on peut lire un riche travail de documentation, et les explications qui nous sont délivrées sont très abordables. Pas de faux semblants, mais pas de dramatisation non plus, elle s’appuie sur son expérience professionnelle de 10 ans au cœur des ONG et pour les Nations Unies. Elle travaillait sur le sort des réfugiés, et prend le temps, en fin d’ouvrage de nous parler des quelques libertés qu’elle a pu prendre dans son récit. De plus, elle précise bien que les deux villes principales que nous allons côtoyer, Sangui et Kasisi sont issues de son imagination, mais bien inspirées par d’authentiques villes. 

Pourquoi lire La fille qui n’existait pas ? Parce que c’est un YA terriblement différent des autres ! L’héroïne est forte, indépendante et déterminée à se venger. Elle prendra tous les risques pour comprendre LA vérité et assouvir sa vengeance. Au-delà d’une enquête sur le meurtre de sa mère, Tina se confronte à la réalité des bourreaux des mines d’or, de la violence des guerres permanentes au Congo. Une véritable quête identitaire également avec un retour aux origines bouleversant. Est-ce que tout doit s’achever dans un bain de sang ?

Je pourrais donner de nombreux adjectifs pour ce roman, tant que je l’ai aimé, tant il m’a entrainé dans un monde plus méconnu. Je souhaitais depuis un moment lire plus d’histoires se déroulant sur le vaste continent africain et voyager du Kenya au Congo a bien répondu à mes attentes. Une terre de contraste, à l’image de l’humanité et de ses vices. Des paysages qui nous font rêver, mais des dangers qui peuvent nous stopper. À moins d’être, comme Tina, presque invulnérable. Presque.

Note :

Triste réalité. Alors que le roman évoque les hôpitaux détruits dans les flammes, j’apprends ce matin qu’un hôpital congolais a été incendié quelques heures auparavant. Il s’agit de l’hôpital du Cinquantenaire, second hôpital de la capitale par sa taille. Il existe depuis 2014 et, malheureusement, le pas étant dépourvu d’un service incendie réel, il y a peu d’espoir que les flammes soient maitrisées avant de ravager l’ensemble de la structure. À noter qu’il se situe dans la RDC, République Démocratique du Congo. Et si, comme moi, vous ne saviez pas faire la différence entre Républiques du Congo et République Démocratique du Congo, ce lien pourrait vous y aider. Vous pourrez, sur le même lien voir une carte d’Afrique et situer le Kenya (j’avoue ne pas être suffisamment à l’aise avec la géographie africaine).

 

20 réflexions sur “[Chronique] La fille qui n’existait pas de Natalie C. Anderson, une enquête fascinante sur les terres en guerre de l’Afrique

  1. Vampilou fait son Cinéma dit :

    Comme toi ma belle, la couverture m’avait également attiré l’oeil, mais j’avais peur de ne pas être forcément le bon public…Cependant, avec la lecture de ton avis, je suis extrêmement intriguée et j’avoue que j’aimerai beaucoup faire ce voyage !

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  2. enigmathie dit :

    Je lis rarement des romans se déroulant sur le continent africain, donc pourquoi pas! Ta chronique donne terriblement envie et c’est vrai que la couverture est sublime 😉

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