Publié aux Editions Gulf Stream – Collection Electrogène – Avril 2016 – 456 pages
Livre lu en Lecture Commune avec ma chère Phebusa (je vous mettrais le lien de sa chronique)
Je lève la main jusqu’à mon visage, laisse échapper un cri. À chacun de mes doigts, à chacune de mes phalanges, un filin brille sous le soleil timide qui pénètre dans la pièce. Je traverse la paroi aussi facilement qu’on soulève un rideau, les mains déjà tendues en avant. Au moment où mes doigts se posent sur le pavé tactile où brillent des boutons multicolores, je suspends mon geste, pétrifiée par l’angoisse.
Je m’appelle Chloé Blanche et j’ai grandi à Life City. Comme tous ses habitants, j’ignorais que nous étions filmés en permanence. J’ignorais que nous étions un divertissement pour des milliers et des milliers de foyers. J’ignorais que nous étions les personnages de Play Your Life, l’émission qui fait fureur hors de Life City, IRL. J’ignorais surtout à quel point nous étions manipulés. Puis j’ai rencontré Hilmi, le nouveau à la peau caramel. Le garçon qui faisait battre mon cœur, mais que ceux qui tirent les ficelles ne me destinaient pas. C’est ainsi que j’ai découvert ce que nous étions, à Life City : les personnages d’un immense jeu vidéo.
Roman d’anticipation (mais pas que, vous y trouverez de la culture geek, et même un peu de romance), I.R.L. nous entraîne en 2088/2089, dans un monde encore proche du nôtre, mais où la technologie est omniprésente, un univers fait d’hologrammes, d’écrans, où les stars les plus adulées sont les personnages d’un jeu/émission de téléréalité peuplant la ville de Lifecity, créée pour le show TV de la chaine Play Your Life. Seulement les habitants de cette ville ignorent plusieurs choses : ils ne savent pas qu’ils sont filmés en permanence, ni qu’ils sont des I.A. (intelligences artificielles) et qu’ils sont manipulés dans le but de faire de l’audience. Mais un jour, Chloé, tombe amoureuse d’un nouveau lycéen, Hilmi, ce qui n’était pas vraiment au programme. C’est à partir de ce moment-là que Chloé va apprendre la vérité sur son monde, ceux qui l’entourent et elle-même. Ils ne sont que des personnages, des I.A.. Pourtant, Chloé se sent humaine, éprouve des sentiments, des émotions et semble même pouvoir échapper au contrôle total. Et si, l’I.A. évoluait plus que prévu ?
C’est alors que tout va s’accélérer pour notre attachante adolescente. Vivant seule avec sa mère, Chloé est une jeune fille ordinaire et aimante. Elle est très proche de sa meilleure amie et s’épanouit comme elle le peut malgré l’absence de son père qui ne se préoccupe pas du tout d’elle. Si sa rencontre avec Hilmi lui procure ses premiers sentiments amoureux, elle la précipite aussi dans un gouffre de terribles révélations. Nous allons alors comprendre que Chloé est une jeune fille déterminée, courageuse et empathique. Nous découvrons aussi une profonde et belle histoire d’amitié et de solidarité. Rien n’est rose (sauf la tranche du livre^^) à LifeCity mais sans doute encore moins IRL et Chloé prendra bientôt conscience de la noirceur de l’âme de certains humains et que ce monde semble être pétri d’égoïsme et de course au profit. Mais I.R.L., c’est encore beaucoup plus que cela et c’est à vous de le découvrir en le lisant.
Quand la culture geek s’empare du genre Young Adult et d’une romance naissante cela nous donne un formidable roman d’anticipation nous faisant reconsidérer notre rapport au monde, aussi réel que virtuel. La frontière entre les deux nous apparaît alors si mince que la confusion devient un véritable danger. Au-delà de la captivante histoire de Chloé, qui pourrait tout changer, l’auteure nous offre de véritables pistes de réflexion. Nous nous interrogeons sur la mince frontière entre réel et virtuel, sur les dangers de l’hyper-connexion, de la manipulation, et même de la télé-réalité. En fait, ce livre nous propose en quelques sortes plusieurs niveaux de lectures astucieusement imbriqués. Certains y passeront un bon moment à suivre les aventures de Chloé et d’autres accompagneront cette lecture d’une profonde réflexion sur le monde actuel et les portes ouvertes par l’internet, le développement des intelligences artificielles, les réseaux sociaux où l’on peut être quelqu’un d’autre et dissimuler sa véritable identité, se créer une autre vie.
Et puis, que dire de ces milliers de téléspectateurs qui suivent ces I.A. assidument et en font leurs idoles, plongeant au plus profond de leur intimité ? Ces gens, bien évidemment manipulés, comme nous le sommes tous, par la magie du montage d’un boîte de production qui ne vise que l’audience et ne laissera apparaître que ce qu’elle souhaite leur montrer. Ces gens qui s’empressent de voter pour décider de la vie sentimentale des habitants de LifeCity. Un constat amer, mais aussi un profond respect de l’auteure pour les références utilisées dans la conception d’I.R.L, telles que les SIMS ou encore Second Life. À propos de références, Agnès Marot n’a pas lésiné sur les moyens ni les explications qu’elle nous livre en fin d’ouvrage. Bien sûr, certaines sautent aux yeux, d’autres peuvent nous échapper selon notre âge, notre culture. Quand j’ai lu la 4ème de couverture, j’étais certaine de trouver une inspiration ou un clin d’œil au merveilleux film The Truman Show. Mais, vous avez également des allusions pertinentes aux chefs d’œuvre de la littérature, notamment des dystopies. Et puis ouvrez l’œil et vous constaterez que rien que les prénoms sont aussi des clins d’œil. Un ouvrage d’une richesse rare et captivante qui vous amène à reconsidérer tellement de choses autour de vous. Qui vous remue le cerveau et les neurones. Enfin, j’avoue avoir été touchée par la « dédicace » voir hommage à Cindy. C’est tellement un plaisir de voir leur complicité sur Twitter.
I.R.L. est une nouvelle bombe dans le monde de la littérature. Mais, sachez-le, celle-ci, vous n’aurez pas envie de la lâcher avant qu’elle explose, bien au contraire, vous n’attendrez que cela. I.R.L. va vous tenir éveillés (dans plusieurs sens du terme) et va vous faire reporter tous vos rendez-vous. Impossible de s’arrêter de lire, nous pourrions presque supposer qu’Agnès Marot a fait développer pour son livre un système performant de câbles invisibles qui s’accroche alors à notre crâne pour nous happer dans ce monde incroyable. Mais alors, quel camp allons-nous choisir nous ? LifeCity ou IRL ?
Un univers fort, une intrigue complexe flirtant avec la mince frontière entre réel et virtuel, des personnages attachants et des références fascinantes, voilà l’essence même d’I.R.L. Ajoutez-y des pistes de réflexion et une pincée de romance dans un univers futuriste et vous obtenez un cocktail parfaitement addictif à l’intrigue brillamment maitrisée. À consommer sans modération.
20/20
Au tout départ, j’avais mis un 19/20. MAIS en écrivant cette chronique et avec le recul, je ne peux justifier le point manquant et je me rends compte que oui ce roman est un vrai coup de cœur et que je ne peux que le recommander. Que Chloé me manque ainsi que ses amis, son univers. Et merci à Agnès d’avoir créé un livre avec une intrigue aussi complexe et autant de pistes de réflexion et de références parlantes.
Les petites *** servent à préserver l’intrigue et ne pas spoiler sur les personnages qui sont concernés.
« Life City, poursuit ****, est une ville virtuelle imaginée par ******** pour l’émission Play Your Life. Il s’est inspiré du concept de The Truman Show, tu sais, ce vieux film où tout le monde regarde la vie d’un homme qui évolue dans une ville remplie d’acteurs ? »
« Je me voyais comme le monstre de Frankenstein dont le contrôle échappait à son propre créateur. Il a fallu toute ma force de conviction pour me convaincre que j’étais plus que ça. Que j’étais humaine. Je n’étais peut-être pas née comme tout le monde, mais j’avais des souvenirs, des sentiments. Seul le corps me manquait. »
Pour découvrir l’univers d’Agnès Marot : son site