[Chronique] Des Mensonges dans nos têtes de Robin Talley

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Paru aux Editions Mosaïc, 384 pages

Livre lu grâce à Netgalley et aux éditions Mosaïcresume

Les filles sont faites pour se marier… Les Noirs et les Blancs ne doivent pas se mélanger… Une fille ne doit pas embrasser une autre fille… Linda ne doit pas aimer Sarah. Rien que des mensonges? 1959, en Virginie. C’est l’histoire de deux filles qui croient qu’elles se détestent — parce qu’elles n’ont pas la même couleur de peau et qu’elles ne sont pas nées du même côté. C’est l’histoire de Sarah et Linda qui croient qu’elles se détestent… mais c’est aussi l’histoire de l’année où tout va changer — parce que les mensonges des autres vont voler en éclats et que les vies, les coeurs de Sarah et Linda vont s’en trouver bouleversés pour toujours…

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Rappelez-vous, il y a quelques temps je vous parlais de mon coup de cœur pour Sweet Sixteen, traitant de la difficile intégration d’étudiants Noirs dans des lycées jusqu’alors réservés aux Blancs. Ici,  nous avons le  même sujet de base et le même système narratif : ce que vit l’étudiante Noire, Sarah, et ce qui vit l’étudiante Blanche, Linda. Mais dans ce roman, le racisme ne sera pas le seul problème évoqué et nous sommes confrontés à une histoire d’apprentissage et d’acceptation de soi magnifique.

1959 : Sarah va faire sa première rentrée dans un prestigieux lycée réservé jusqu’alors aux Blancs mais qui doit ouvrir ses portes et participer au programme d’intégration. Bien sûr, dans un monde où les Noirs sont encore considérés comme inférieurs aux Blancs et n’ont pas les mêmes droits, l’ensemble des élèves et parents d’élèves y est totalement opposé. C’est donc dans la violence, les insultes et la peur que les élèves vont faire leur rentrée. (A noter que bien que basé sur une histoire vraie, les lieux et personnages ici sont fictifs).

Nous allons suivre l’année scolaire selon 2 points de vue, à savoir celui de Sarah, élève Noire qui intègre le lycée et de Linda, jeune fille blanche dont le père, influent dans le monde de la presse est fermement opposé à ce que sa fille fréquente des Noirs. Les chapitres sont tous présentés selon des mensonges, ces mensonges étant en fait les préjugés que chacune des jeunes femmes a dans la tête, préjugés inculqués par la société ou leur éducation. Bien entendu, les « mensonges » de Linda sont profondément racistes, c’est ce qu’on lui a toujours appris. Mais les deux jeunes femmes vont, malgré elles, se côtoyer et petit à petit les mensonges vont être bouleversés et elles vont apprendre à se faire leurs propres vérités.

C’est un roman d’apprentissage qui se situe dans un contexte racial et violent. Chaque jour les élèves Noirs doivent affronter menaces, insultes, coups, crachats et mauvais coups, leur quotidien est épouvantable. Mais ils font partie de la vague des premiers lycéens à intégrer un lycée de Blancs dans cet Etat et ils sont les seuls à pouvoir marquer l’histoire et prouver que les choses peuvent changer. A ce contexte racial se mêlent bien entendu les clichés classiques des années 50 et Linda n’y échappe pas : sitôt le BAC passé elle se mariera avec son petit ami et deviendra la parfaite petite épouse qui n’aura jamais à travailler et devra seulement se préoccuper de son foyer, son mari et sa future progéniture. Encore un mensonge dans une société qui est en pleine évolution.

Les deux jeunes femmes qui sont donc amenées à passer du temps ensemble vont voir petit à petit les barrières tomber et les sentiments apparaître. Les certitudes se bousculent dans leur tête. Bien entendu elles vont tout faire pour les refouler, se réfugiant derrière d’autres mensonges : Les Noirs et les Blancs ne peuvent pas s’aimer, deux femmes ne peuvent pas s’aimer. Elles vont donc devoir affronter leurs craintes, Linda va devoir s’opposer totalement à son père, elle vont progressivement apprendre la tolérance, apprendre à s’accepter et à être elles mêmes et non ce qu’on attend d’elles. Grâce à leur rencontre elles vont pouvoir apprendre que rien n’est tout noir ou tout blanc dans la vie et que les préjugés se doivent d’être bousculés, qu’il est trop facile de se reposer sur les mensonges déjà élaborés pour nous et que grandir, évoluer, c’est aussi se créer ses propres vérités et opinions.

Les personnages sont profonds et crédibles, humains et attachants, ils sont vrais tout comme leur cheminement et leurs réflexions. Linda a un chemin bien plus difficile à parcourir car c’est sa vie entière qui se voit alors transformée par l’arrivée de Sarah dans son quotidien. Sarah est une jeune fille combative qui ne manque pas de répartie. Mêlant deux tabous de l’époque, homosexualité et racisme, l’auteur sait nous faire rentrer dans l’histoire (nous sentons que le travail d’écriture est riche en documentation), nous révoltant, nous indignant mais l’espoir arrive et nous voyons qu’en effet tout n’est pas noir ou blanc. Comme je l’avais dit pour Sweet Sixteen, c’est une partie de l’histoire qui est très proche de nous et qu’il faut veiller à ne pas oublier. La plume est juste et nous transporte dans un climat de tension et d’injustice permanent, elle peint parfaitement le réalisme cruel historique de cette intégration et rend compte avec profondeur de la cruauté à laquelle les Noirs ont pu être confrontés pour avoir les mêmes droits que les Blancs.

 

enbref

Un roman d’apprentissage dans une époque où les clichés raciaux sont encore très présents. Une histoire faisant référence à des faits historiques réels. Les deux personnages doivent faire face à leurs préjugés et apprendre à s’accepter et accepter leurs ressentis, lutter contre les tabous raciaux et sexuels de l’époque. Des héroïnes marquantes, une plume qui peint le décor avec justesse et sans détours. Comme Sweet Sixteen, tout le monde devrait lire ce livre pour ne pas oublier par quoi sont passés les Noirs et la bataille qu’ils ont menés pour être intégrés et avoir les mêmes droits que les Blancs.

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19/20

Pour lire ma chronique sur Sweet Sixteen

Pour aller plus loin la biographie de Melba Patillo, l’une des courageuses premières élèves à avoir intégré un lycée de Blancs, histoire vraie.

[Chronique] Sweet Sixteen d’Annelise Heurtier

sweet-sixteenParu aux éditions Casterman Poche – 200 pages

resume

Rentrée 1957.
Le plus prestigieux lycée de l’Arkansas ouvre pour la première fois ses portes à des étudiants noirs. Ils sont neuf à tenter l’aventure. Ils sont deux mille cinq cents, prêts à tout pour les en empêcher.
Cette histoire est inspirée de faits réels.

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Si vous me lisez régulièrement ou me suivez sur Facebook vous savez certainement que j’ai une grande passion pour les années 50. Toutefois j’ai bien conscience que les années 50 n’étaient pas roses et bien difficiles sur de nombreux aspects tels la condition des femmes mais aussi celle de Noirs. C’est sur ce sujet que se porte l’histoire de Sweet Sixteen. J’ai dévoré ce livre et il m’a été impossible de le lâcher. L’histoire est poignante, révoltante…Dire que c’était il n’y a même pas 60 ans !

Rentrée 1957, 9 lycéens Noirs s’apprêtent pour la première fois à faire leur entrée dans un lycée de blancs. Rappelons le contexte : à cette époque les Noirs étaient toujours considérés comme inférieurs aux Blancs et le racisme était plus que violent. Insultés, battus, dénigrés ils n’avaient aucun droit de se mélanger au Blancs. Nous allons suivre la jeune Molly qui est déterminée à entrer dans ce lycée suite à la loi sur l’intégration, désormais les étudiants Noirs pourront bénéficier de la même éducation que les Blancs. Mais ça, c’est sur le papier.

Nous allons suivre l’unique année scolaire de Molly dans ce lycée. L’opposition des Blancs à cette rentrée, les insultes et brimades quotidiennes que les élèves doivent subir, les menaces de mort et tentatives d’intimidation mais également leurs amis qui leur tournent le dos de peur de subir eux aussi des représailles. Mais il y a aussi le rejet, l’indifférence voir le mépris de leurs professeurs. L’histoire alterne entre la vie de Molly, notre courageuse étudiante Noire et de la jeune Grace, jeune fille blanche bien sous tout rapport qui, au fil des événements et de l’année va se poser des questions sur la justification d’une telle haine raciale.

Molly est juste un personnage génial. Elle est forte, déterminée et émouvante. C’est juste incroyable ce qu’elle va traverser pour son droit à une bonne éducation, dans une école dotée de moyenne alors qu’elle y est profondément haïe et humiliée au quotidien. Elle se veut représentante de ce début, pas pour être elle dans l’histoire, mais pour que l’histoire avance. Elle fait preuve d’une grande maturité et lucidité sur le monde qui l’entoure.

Grace est une jeune fille riche très populaire, intéressée par les garçons mais qui voit sa vie petit à petit chamboulée par l’arrivée de ces 9 étudiants et particulièrement par Molly. Ayant grandi auprès d’une nounou noire elle n’a pas la même haine que les autres élèves, même s’il lui faut s’en garder. Elle sera profondément marquée par une scène humiliante que subit la jeune Noire et l’idée que Noirs et Blancs puissent être égaux va alors faire son chemin dans son esprit. Nous allons la voir évoluer au cours du roman et faire des choix non conventionnels.

La plume est résolument jeunesse mais bien loin de s’y restreindre. L’année scolaire n’est pas passée en revue en détail, on la parcourt rapidement et malgré tout nous savons ce que ces 9 étudiants subissent au quotidien. Le danger est tellement présent que chaque étudiant se voit affublé d’un militaire personnel. Il est capital de prendre conscience de ce qu’il se passait il n’y a pas encore si longtemps. De comprendre qu’il y moins de 60 ans, les Noirs n’avaient pas de droits. Pour souligner ce contexte je vous ai sélectionné quelques citations. Un livre que l’on devrait mettre dans les programmes scolaires. Un livre qu’on se doit de lire pour ne pas oublier.

« On les fit rapidement monter les marches d’un escalier gris, et ils arrivèrent soudain au milieu d’un couloir rempli d’étudiants blancs. En quelques secondes, ceux-ci s’éparpillèrent, comme si une main avait jeté une pierre sur dans une fourmilière :

-Oh, mon Dieu ! Ca y est, les nègres sont là ! cria une fille en levant les bras. […]

-Ca pue !

– Dehors les nègres !

– Putain, vous n’allez pas laisser entrer ces ratons laveurs ici ? »

« Du doigt, le jeune homme pointait Molly :

-Hey, regardez qui voilà : Quelqu’un a des cacahuètes ?

Ses copains, hilares, lui tapèrent dans le dos, et Anton se lança dans une imitation de singe qui fit tordre de rire la classe entière »

« Molly avait soupiré. A comportement égal, ce n’était pas demain la veille qu’un Noir serait jugé comme un Blanc. Un Blanc pouvait vous insulter, vous cracher au visage, vous frapper, vous pendre à un lampadaire…il aurait toujours raison. Les Noirs, eux, avaient simplement le droit de se laisser faire sans broncher ».

Un roman qui fait partie de ceux qui sont importants et qui se doit d’être lu. Une lecture bouleversante, un sujet révoltant, une jeune héroïne admirable qui a fait avancer les choses, qui a su marquer son époque. N’oublions pas que le personnage de Molly Costello est inspirée de Melba Pattillo qui a publié une autobiographie que je compte lire et que j’ai dores et déjà commandée.

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MANOTE

18/20

Fait partie de mes lectures Booktube-a-thon du 3 au 9 août

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