[Chronique] Adoration de Jimmy Lévy, l’auteur aux mille émotions bouleversantes et percutantes.

Publié aux éditions Cherche-Midi – Août 2018 -163 pages
Merci à Benoît pour cette lecture
Comment naissent les passions ?
Toujours, on ne l’apprend que trop tard. On cherche à savoir par quoi ça commence. D’où c’est parti. Comment la vie se transforme en enfer. Un enfer d’amour. Une adoration.
Je ne sais pas situer un début. L’instant invisible où ça se noue. Où ça s’empare de toi. La flèche que décoche le Cupidon de service, le préposé à l’addiction, le sniper ailé. Curieuse, quand même, cette idée de flèche. Déjà un perce-cœur, une hémorragie. Déjà un goût de meurtre. Je ne sais pas si tout se joue là, en une poignée de secondes. Je ne sais rien de L. C’est la condition du désastre.
L souffre d’une perversion incurable, toxique, insoupçonnable au premier abord. Une pathologie sans nom qui ravage et dévore tout ce qui l’entoure autant qu’elle-même. Le narrateur, tombé fou amoureux de L, ne voit rien venir de la dévastation en marche. Il va jouer sa peau pour tenter de sauver l’insauvable, devenant à son corps défendant le complice, le mobile et la victime de la perdition de L.
De son récit fragmentaire, chaotique, surgit le tableau d’un naufrage, un autoportrait en ruines.Par son écriture acérée, Jimmy Lévy nous plonge dans le terrorisme de l’emprise. Un roman dont on ne sort pas plus indemne que d’une adoration.

On commence avec un Trigger Warning de circonstances. Les raisons sont indiquées sous l’ourson.

(dépression, bipolarité, TS, anorexie, emprise psychologique, troubles psychiatriques violents, relation abusive)

Cette chronique ne va pas être comme les autres. Le roman n’est pas comme les autres. Souvenez-vous, l’an dernier, je découvrais Jimmy Lévy avec Petites Reines, son premier roman, publié également aux éditions Cherche-Midi. Claque, violente, brutale, presque sanguinaire, mais un récit hautement bouleversant, allant puiser dans les tréfonds de l’âme humaine pour en sortir les plus sordides et inavouables penchants. Torturant ses personnages en faisant subir le pire à ses personnages, Jimmy Lévy se révélait à moi comme un auteur à suivre, mais aussi comme celui dont les romans sont si particuliers que non, ils ne sont pas faits pour tout le monde. Aujourd’hui encore j’admire l’audace de l’éditeur de nous avoir proposé ce roman, de le publier au grand public. Et je l’en remercie. Parce que cette histoire m’a touchée pour des raisons bien particulières, parce qu’elle n’a rien à avoir avec Petites Reines et que ce qui est porté par la plume vive et incisive de Jimmy Lévy, vaut de l’or. L’histoire d’une adoration.

La bipolarité : Qu’est-ce que c’est ?

Avant toute chose, je voudrais faire un point sur ce qu’est la bipolarité. Encore une fois c’est un mot qui est utilisé à tort et à travers, pour désigner tout et n’importe quoi. Pourtant, c’est une affection sérieuse, et quand vous devez l’affronter au quotidien, rien de plus enrageant de voir chacun se lancer ce mot à la tête pour les changements d’avis ou d’humeur. La bipolarité, c’est sérieux et douloureux. Ici, dans le roman, la bipolarité emprisonne complètement L et par extension notre narrateur. Les troubles bipolaires concernent entre 1 et 2,5% de la population. Ils sont très souvent diagnostiqués tardivement. Ne lésinons pas sur les termes, avouons le, c’est une maladie mentale chronique. Ils sont souvent accompagnés de comorbidité et c’est justement le cas de L. Toujours dans son cas à elle, les conduites à risques s’observent nettement. Je vous épargne les définitions plus complexes, sachez qu’on observe un type 1 et un type 2, que l’un n’est pas plus intense que l’autre mais ne fonctionne simplement pas de la même manière. Les facteurs héréditaires et environnementaux sont reconnus dans cette maladie. Grossièrement, la bipolarité s’illustre par des phases maniaques, et dans le cas du type 2, en alternance avec des phases hypomaniaques (dépression). Le risque de suicide est non négligeable dans la maladie. Voilà, j’en ai fini de mes explications, vous trouverez plus d’informations sur internet.

Note : ce n’est pas le seul symptôme présenté par L. dans le roman.

« Je ne sais pas encore que j’attends ma mise à mort, coeur battant. »

Notre narrateur s’éprend d’une femme qu’il nomme L. Avec elle, la passion, les feux ardents, la sexualité débridée, l’amour, l’adoration. Dès le départ, il se dit qu’il aurait dû comprendre qu’il signait là une sorte de pacte avec le Diable. Car L. détruit, avale, recrache et hache. Elle prend, suce jusqu’à l’épuisement. Mais elle est bien pire pour son conjoint qu’un vampire énergétique. L est malade, planque ses médicaments partout et est obsédée par son image. Narcissique à l’excès, elle tient son homme par les parties génitales et le chantage larmoyant digne d’une actrice des oscars. Elle ment, elle trompe, elle vole, elle frappe, elle trahit, elle fuit, elle fait chanter. Et notre pauvre homme se retrouve pris au piège de sa faiblesse à partir, il sait qu’il est déjà fini, qu’elle gagne encore et encore et qu’elle est absolument prête à tout.

« Bipolaire, fille d’oxymore. »

Elle fait chanter ses cibles, délaisse les siens, et toujours plus de pilules encore et encore. Obsession. Paranoïa, Folie. Prête à tout pour retenir celui qui se meurt dans un foyer aussi toxique que le sien. Bipolarité, oui, mais pas seulement. L est beaucoup plus que cela et notre narrateur n’y pourra jamais rien. Alors il écrit comme il ressent. Il écrit comme il vit. Il écrit comme il s’accroche et abandonne tout logique chronologique car il nous fait plonger avec lui dans cet univers d’emprise et de folie. Lui n’est pas parfait et ne le prétend jamais. Mais elle ne reconnait jamais ses torts, les détourne, les lui jette à la figure, invoque des raisons insensées à ses crimes et méfaits. L est toxique mais s’en défaire demande du temps. Le temps de savoir qui est le narrateur sans cette femme qu’il aime plus que tout mais qui le dévore à mesure que lui l’adore. Perversion, détoxication, désintégration ou voire même annihilation, voici les pouvoirs de celle qui reçoit pourtant toute l’adoration. Je vous mets au défi de lâcher le livre avant de le terminer, pour ma part, il fallait que j’avance et il est resté dans ma tête tout le reste de la soirée. De la nuit même. Les mots vifs et acérés, percutants et oppressants venaient à moi à tout instant, ce livre n’est pas comme les autres mais se doit d’être découvert, lu, compris. C’est brillant, excellent, un style aussi unique que je ne sais le qualifier, doit circuler, faire passer un message, une histoire. Un roman sans doute écrit à la sueur et au sang, aux larmes et au « si j’avais ».

« Je ne sais pas comment naissent les passions, de quelle matière elles sont faites, si elle grandissent de ce qu’on y projette ou si elles claquent soudain dans l’air comme un arc électrique qui zèbre un espace inconstant. Je ne sais pas si je raconte une passion ou une défaite. Ou si ce n’est pas la même chose. Si tout n’est pas déjà joué dans le pâtir. Dans l’impression. L s’imprime, indélébile. Je ne sais pas si l’adoration ne se raconte qu’à partir de sa défaite. Je ne sais pas si elle se défait. »

L’histoire d’un amour si fort qu’on le nomme adoration et qu’on en perd la raison. Mais il suffit d’un coup d’éclat pour reprendre conscience et évaluer l’état de la situation. Un amour moche qui fait mal, qui blesse et pervertit, qui ne respecte rien et cherche toujours à manipuler. Le narrateur tel un pion se doit de reprendre la main alors quoi de mieux que de coucher les émotions, ligne après ligne, mot après mot. L’adoration se fait récit tourmenté et atypique, violent et cru, telle l’explosion finale de cette autodestruction. Aimer mal, vivre dans l’adoration et se laisser détruire par les pulsions morbides de l’autre, comportements dangereux et prises de risques insensés, mensonges éhontés et attitude désinhibée. Ne jugez pas le narrateur avant d’avoir lu tout son histoire d’adoration.

« Pharmakon. Poison, remède. Poison et remède. Lequel a raison de l’autre. Pharmakon de L. Le poison comme remède. Expansion de la pharmacie. Envahissement. Impérialisme.  Socrate à sa cigüe. Socrate consentant, qui se l’administre dans son cachot. L s’administre sa disparition, L ne consent qu’à sa perte depuis sa prison bipolaire. Mortelles médecines. Délivrées aux ignorants, aux croyants, aux âmes perdues. L’appartement est devenu pharmacie. […] Psychotropes, anxiolytiques, antidépresseurs, neuroleptiques, somnifères, hypnotiques, benzodiazépines. Logique du manque infini, compulsif. Lexomil, Lysanxia, Temesta, Tranxène, Valium, Xanax, Rivotril, Atarax. […] L trinque avec la mort, la défie en la différant. » 

Un récit coup de poing, l’auteur ne cherche pas une seule seconde à épargner son lecteur. L’histoire d’une adoration qui prend des allures de pénitence pour le narrateur, épris d’une femme faite de folie et d’addiction. Les portes de l’enfer sous les pieds, soit il saute avec elle, soit il fuit. En attendant, il écrit et c’est brillant. Une qualité littéraire incontestable et un style totalement unique. Une mise à nu d’une manipulatrice qui fut l’objet de l’adoration.

Comme l’an dernier, je voudrais vous recommander absolument ce roman. Mais je reste lucide, il n’est pas pour tout le monde et j’aurais même tendance à dire de le réserver à un public averti. Si vous avez les épaules pour, lisez-le, c’est une claque une fois de plus et je n’ai pas pu vous expliquer ce qu’il a éveillé en moi, car cela partirait dans les affres de mon intimité et de ma personnalité, mais vraiment, ce livre m’a aidé à comprendre encore plus de choses sur ce dont je souffre. Je ne suis pas comme L, rassurez-vous. Mais nous avons tous nos défaillances.

Fascinant autant que perturbant.
Oui c’est sans doute cela le « terrorisme de l’emprise ».

« L’adoration est un carnage. […] L’adoration ne s’écrit pas, elle se contourne. Son écriture est d’évitement. »

15 réflexions sur “[Chronique] Adoration de Jimmy Lévy, l’auteur aux mille émotions bouleversantes et percutantes.

  1. Josiane dit :

    Woauh ! J’imagine la puissance d’une telle lecture et je me demande si je serais capable de l’affronter ! Pourtant, je pense que j’apprendrais beaucoup avec ce roman… Je pense qu’il faut être prêt(e) psychologiquement à se lancer dans cette lecture…

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  2. Serena dit :

    Coucou,
    Oh ce genre de livre m’intéresse bien en général même si parfois ça remue quand même ^^ Puis on en sait pas assez sur la bipolarité je trouve ça peut être enrichissant car parfois on s’imagine des choses et on se trompe ^^
    Des bisous 🙂

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  3. Daily Kat dit :

    Merci pour tous ces détails et ces recherches… A force de lire, tu enrichi ton propre style d’écriture, ca se sent, c’est bien ! Mais En effet, ce n’est pas un livre pour moi non plus. Bien que toutes ces maladies liees au psychisme touchent toujours quelqu’un dans notre entourage, de près ou de loin. Ça ne me donne pas envie de connaître l’histoire…

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  4. Golden Cheer Grahams dit :

    Ce genre de roman « brutal » ce n’est vraiment pas pour moi. Je suis déjà capable de pleurer pendant des heures à la fin d’un personnage, alors avec ça j’en crois que je vais moi même sombrer dans la déprime 😂.
    Il faut de tout dans la lecture, moi je suis plus fan des romans qui font rêver !

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