[Chronique] Il est grand temps de rallumer les étoiles de Virginie Grimaldi, le roman qui vous fera du bien

Publié aux éditions Fayard – Mai 2018 – 396 pages
Merci aux éditions Fayard et Marie-Félicia pour cette lecture (et votre patience)

Anna, 37 ans, croule sous le travail et les relances des huissiers.
Ses filles, elle ne fait que les croiser au petit déjeuner. Sa vie défile, et elle l’observe depuis la bulle dans laquelle elle s’est enfermée.
À 17 ans, Chloé a des rêves plein la tête mais a choisi d’y renoncer pour aider sa mère. Elle cherche de l’affection auprès des garçons, mais cela ne dure jamais. Comme le carrosse de Cendrillon, ils se transforment après l’amour.
Lily, du haut de ses 12 ans, n’aime pas trop les gens. Elle préfère son rat, à qui elle a donné le nom de son père, parce qu’il a quitté le navire.
Le jour où elle apprend que ses filles vont mal, Anna prend une décision folle : elle les embarque pour un périple en camping-car, direction la Scandinavie. Si on ne peut revenir en arrière, on peut choisir un autre chemin.

Anna, Chloé, Lily. Trois femmes, trois générations, trois voix qui se répondent. Une merveille d’humour, d’amour et d’humanité.

Est-ce que j’ose le dire ? Habituellement, je parle de mes livres préférés en tentant de ne pas faire trop de différences entre eux, après tout, nous sommes tous différents et avec des goûts variés. Mais si, je vais oser : Si vous devez lire un livre qui fait du bien cet été, foncez sur celui-ci. Même si ce n’est plus l’été. Par ailleurs, il se peut qu’un moment de votre vie vous incite à le choisir, à le laisser vous réchauffer le cœur. C’est mon cas. Honnêtement, je m’excuse auprès de Fayard et de l’autrice, cela faisait des semaines qu’il était dans ma PAL. Mais je ne me sentais jamais « apte » à le lire, ressentant d’autres besoins. Et puis après des semaines bouleversantes et éprouvantes émotionnellement, j’ai compris que c’était LE moment, qu’il m’appelait et que si, bien entendu, il ne me guérissait pas de toutes mes blessures, au moins me réconforterait-il, m’apporterait-il du baume au cœur. C’était un pari risqué, mais hautement relevé. Je suis passée à quelques millimètres du coup de cœur, vraiment quelques millimètres, pour des détails que je ne peux pas vous préciser sans spoiler. Maintenant, entrons dans le vif du sujet ! Cette chronique va être largement agrémentée de citations, tout simplement parce que ces dernières sont très pertinentes pour expliquer l’esprit du roman, comprendre nos 3 femmes narratrices.

L’histoire est d’abord celle d’Anna, une maman au bout du rouleau et acculée par les dettes. Très vite, nous comprenons qu’elle se tue à la tâche dans le but de pouvoir élever ses filles. Le père ? On ne sait pas avant un sacré nombre de pages, alors taisons-nous sur le sujet. Anna a deux filles, Chloé et Lily et elle ne les voit que très peu, à cause de ses heures de travail. L’entente n’est plus du tout au rendez-vous, les tensions sont du quotidien et Anna va craquer. Jusqu’au soir où elle prend la décision la plus folle, mais certainement la plus sérieuse aussi de sa vie : un road trip en Scandinavie, à bord du camping-car de son père, avec Chloé et Lily, plutôt que de payer ses dettes. Insensé ? Peut-être pas tant que cela. Anna s’est rendu compte un peu tardivement du mal-être qui habite ses filles, en même temps c’est assez complexe quand on n’est pas à la maison aux mêmes heures. Chloé n’arrive pas trop à se trouver, elle rêve d’être aimée et se donne à des garçons qui, très assurément, ne sont pas les bons… Elle désespère de rencontrer l’homme de sa vie et pense qu’elle ne sera jamais aimée à sa juste valeur. Elle a un rêve dont elle ne parle jamais. Elle peut-être parfois assez rude et ferme, une ado de son âge et elle est pleine de rancœur envers sa mère. Il faut bien un coupable quand un couple explose. Lily est plus jeune, mais pas si naïve que cela. Elle n’aime pas vraiment les gens, préfère son rat, subit du harcèlement scolaire, mais a bien du mal à l’admettre et elle écrit dans son carnet, Marcel. Pleine d’humour, Lily nous fait mourir de rire avec ses expressions détournées ou simplement mal utilisées. Elle est pétillante, mais un peu cynique aussi, très observatrice et empathique. Le mal-être de ses filles, au-delà sans doute de la simple crise d’adolescence est l’élément déclencheur de la folle idée d’Anna, à l’opposé de ce qu’elle a toujours cru être.

« On a tressé nos douleurs pour n’en faite qu’une, énorme, dévastatrice, insurmontable. Nous espérions sans doute qu’a trois ce serait moins lourd à porter. Ce fut le contraire. Le chagrin de ceux que l’on aime décuple le nôtre. »

Bien entendu, lorsque le périple se met en branle, les trois femmes vont rencontrer d’autres personnages, que l’autrice nous construira parfaitement, et vont se confronter à la beauté du monde, celle qui coupe le souffle, celle qui se passe de mots, mais celle qui fait passer des messages sur les raisons de notre existence, sur la grandeur du monde et le pouvoir de la nature. Les émotions sont au rendez-vous face à tant de merveilles et si les adolescentes n’étaient pas enjouées à l’idée de ce voyage les enfermant dans une boite roulante, collées les unes aux autres H24, elles admettront se trouver dans une situation unique, que beaucoup envieraient. Seriez-vous capable, vous, de tout laisser en plan et de partir en road-trip pour sauver votre famille ? Pour… rallumer les étoiles dans les yeux de vos filles et dans vos relations familiales ? En tout cas, pari risqué, mais seule la lecture de ce magnifique roman vous en dévoilera l’issue. Toujours est-il que les aventures sont captivantes à suivre, nous nous attachons aux autres voyageurs, surtout Julien et Noé qui reviendront beaucoup, mais aussi à des histoires, celles de personnes qu’on n’aurait jamais rencontrées autrement que dans cette folle aventure, et qui viennent enrichir les trois femmes. Grandir au contact de la nature, mais aussi auprès des humains qui cheminent à nos côtés. Prendre le temps de se comprendre, de se connaitre, de se lier. Grandir des expériences de chacun, offrir les siennes à son tour. Et les liens qui se forment sont éternels, qu’importe qu’on garde le contact ou pas. Le périple fait le lien, la nature se charge du bien.

« Mais ce silence-là, il était différent. Il nous réunissait. On venait de se faire mettre KO par la beauté du monde. »

Loin de notre quotidien, il est peut-être temps de comprendre et d’apprendre pour mieux se diriger. C’est en cela que les expériences de chacun sont importantes, écouter, compatir, parler, endurer, souffrir, sourire, apaiser, aimer. Chacun a sa façon de vivre les épreuves de la vie, chacun fait avec son fardeau. Anna, par exemple, a tout fait pour être une bonne mère, pourtant ses filles sont rancunières, amères, sans père et sans repères. Mais leur mère a son propre sac sur l’épaule et de trop nombreux secrets. Julien et Noé ont aussi leur propre bagage, comme le duo de petits vieux adorable ou la famille bourgeoise partie à l’expérience d’une vie rudimentaire. C’est assez incroyable, car Virginie Grimaldi nous fait passer du huis clos familial dans le camping-car, presque suffocant, à l’immensité de la nature où la liberté est telle qu’on se sent minuscule. Cette alternance se fait sans même que l’on s’en rende compte et je me suis retrouvée à inspirer plus fort face à la description de ces merveilles. Certaines scènes de confrontation à la nature sont drôles, d’autres époustouflantes ou encore bouleversantes, ressourçantes. J’ignore si l’autrice a effectué elle-même ce périple, mais toujours est-il que j’ai vécu chaque instant du voyage, imaginé chaque décor et très mal prononcé les mots, comme dirait Lily, on parle pas le Ikea.

« Tout au long de notre vie, on juge ce qui nous arrive, on se réjouit, on se lamente. Pourtant, on ne saura qu’au dernier moment s’il y avait lieu de se réjouir ou de se lamenter. Rien n’est figé, tout évolue. Ne sois pas triste aujourd’hui, car ce qui t’arrive est peut-être un grand bonheur. »

De très très nombreux thèmes sensibles, mais universels sont abordés avec brio, justesse, sensibilité, mais aussi parfois humour dans ce roman. En offrant 3 voix au lecteur, l’autrice nous propose un accès à des modes de pensées différents, mais également des blessures ou des épreuves bien personnelles. Anna est notre narratrice principale, Chloé se confie sur un blog et Lily ne lâche plus Marcel, son journal. Une problématique que j’ai trouvé particulièrement bien traitée est celle du passage enfance-adolescence et la course à l’âge adulte. On perdu l’innocence, on se confronte à la douleur, aux difficultés du monde adulte sans être encore totalement formé à cela. Virginie Grimaldi, sans jamais en faire trop, nous démontre la difficulté de cet âge, les pensées intimes et leurs mécanismes, de tous ceux qui sont obligés de grandir trop vite. Mais elle n’oubliera pas le deuil, celui d’un parent, celui d’un mariage, celui d’une relation. Finalement, l’autrice est capable ici de s’attaquer, sans cliché, à de si nombreux thèmes qu’il serait vraiment dommage que j’en dise plus. Conteuse hors pair, elle nous transmet, à travers le portrait de 3 femmes liées par le sang, un message sur la vie, un message qui invite à s’accrocher aux instants de bonheur. Et toute cette histoire fait du bien, réellement.

« C’est douloureux, ce passage entre l’enfance et l’adolescence, quand les illusions volent en éclats et les rêves se fracassent contre la réalité. Je regrette cette candeur confortable, ce monde épargné où les bobos s’envolent en un dodo. Je regrette cette vie où je ne savais pas, cette bulle de douceur dont papa et maman étaient les remparts. J’avance vers la majorité en semant des petits cailloux d’innocence. Je ne veux pas tous les perdre. Je ne veux plus grandir. »

Parfois, on nous demande si un livre a changé notre vie. Je pense que chaque livre laisse un bout de lui en nous. Bien entendu, certains ne resteront pas longtemps, d’autres auront déposé à nos pieds un trésor, à nous de l’utiliser. Je ne sais pas encore si ce roman changera ma vie, mais, en attendant, j’ai précieusement gardé son enseignement et sa beauté. Un jour, je pourrais, peut-être, l’employer pour me délivrer de ma propre douleur. Et si ce n’est pas ce roman-là, ce sera un autre. Mais peut-être que pour vous aussi, il est grand temps de rallumer les étoiles…

« J’imagine ma mère à mes cotés, sa main sur mon épaule. Cela ne me fait plus mal. Je ne saurais dire depuis quand son souvenir m’apaise. La douleur s’en est allée sur la pointe des pieds. On s’habitue tellement à sa présence qu’on ne la remarque plus, elle devient partie intégrante de nous. Et puis, un jour, on se rend compte qu’elle a disparu, cédant sa place à quelques cicatrices et tous les bons souvenirs. »

Des portraits de femmes (ou en devenir) dressés avec humour, sensibilité et émotions, il ne m’en fallait pas plus pour succomber au charme de cette histoire pas comme les autres. Merci pour ces personnages si uniques et sans clichés. Merci pour les rires et les larmes, les émotions et les sensations. Un roman qui fait du bien, sur l’instant, mais qui prolonge le sourire jusqu’à en rallumer les étoiles. Partir n’est pas fuir, mais parfois juste la solution pour se retrouver.

Frôlé le coup de coeur, mais dites-vous qu’il est incontournable ce roman.


Bonus dédié à tous les parents et à la difficulté que cela implique :

« Les parents sont des funambules. On marche sur un fil tendu entre le trop et le pas assez, un colis fragile entre les mains.
Il faut être attentif, mais ne pas laisser croire à notre enfant qu’il est le centre du monde; il faut lui faire plaisir sans qu’il devienne blasé; il faut équilibrer son alimentation sans le priver; il faut lui donner confiance, mais qu’il reste humble; il faut lui apprendre à être gentil, mais à ne pas se laisser faire; il faut lui expliquer les choses, mais pas se justifier; il faut qu’il se dépense et qu’il se repose; il faut qu’il apprenne à aimer les animaux, mais à s’en méfier; il faut jouer avec lui et le laisser s’ennuyer; il faut lui apprendre l’autonomie tout en étant présent; il faut être tolérant mais pas laxiste; il faut être ferme mais pas rude; il faut lui demander son avis, mais pas le laisser décider de tout; il faut lui dire la vérité sans atteindre son innocence; il faut l’aimer sans l’étouffer; il faut le protéger, mais pas l’enfermer; il faut lui tenir la main tout en le laissant s’éloigner. »

« Une mère ne peut pas être heureuse si l’un de ses enfants ne l’est pas. »

58 réflexions sur “[Chronique] Il est grand temps de rallumer les étoiles de Virginie Grimaldi, le roman qui vous fera du bien

  1. Natieak dit :

    Coucou
    Honnêtement, juste avec la couverture, j’aurai eu tendance à penser que ce livre n’était pas fait pour moi. Seulement voilà, j’ai lu ta critique ! Je trouve cela intéressant que l’auteure donne « la parole » à ces trois personnages d’autant plus qu’elles ont des tranches d’âge et une vision de la situation différentes.
    J’ai comme le sentiment que c’est un bouquin qui vaut le coup d’être lu.
    Belle journée

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  2. flaure47 dit :

    Ta chronique aurait pu être la mienne. Pour moi 9/10 et voilà ce que je disais : « La chute est surprenante, on lâche le livre le cœur léger.
    J’ai presque envie de dire que les parents qui ont des adolescentes ou des pré-ados devraient lire ce livre. Bien que ce ne soit qu’un roman, ils auraient l’impression de ne pas aborder cette période, seuls.
    J’ai beaucoup aimé la page-réflexion d’Anna (à l’emplacement, sur ma liseuse, 1437 à 1452 Anna)
    « Lorsque je suis montée à bord de ce bus … il faut lui tenir la main tout en le laissant s’éloigner. »
    Lisez les remerciements, vous y verrez une similitude. »
    A bientôt, FLaure

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  3. MamanDeOuistiti dit :

    Allez j’avoue tout : je n’ai pas lu toute ta chronique parce que ce livre attend sagement que je le mette dans ma valise direction les vacances.
    Mais ta note et ton appréciation me confortent dans l´idee que je vais passer un bon moment, rempli d’émotions.

    En même temps, Virginie est une si belle personne qu’elle ne peut écrire que de jolis livres !

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  4. Steph lejournaldunefan dit :

    Enorme coup de coeur pour moi aussi comme tous les livres de cette auteure d’ailleurs. J’ai aimé chaque personnage si finement travaillé, chaque phrase si poétique, et ce fabuleux road trip!

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  5. apprendreareverblog dit :

    Euh! Juste Wahou quoi! Ta chronique elle m’a mise des frissons…. je ne me serais jamais retourné vers un livre comme celui-ci j’aurais eu peur de ne pas m’y retrouver mais finalement, avant de te laisser ce commentaire je suis allée me le commander sur le site de la FNAC…. j’ai hâte de le lire et cette revue vraiment je l’ai trouvé incroyable

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  6. EmilieH dit :

    Je t’avoue que je n’ai que survolé ta chronique! Mais pas taper, j’ai une bonne raison!
    en effet, ‘adore cette autrice, mais je n’ai pas lu celui-ci encor (ni celui d’avant d’ailleurs, faut que je me bouge). Donc je veux le découvrir quand je le lirais!!

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  7. Vampilou fait son Cinéma dit :

    Je vais suivre ton conseil ma belle et lire absolument ce roman, parce que tu m’as fait carrément rêver avec ton et que je suis certaine qu’il me fera le plus grand bien !

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  8. louloutediary dit :

    J’ai tellement aimé ce roman ! Il part dans la première marche du podium chez Virginie Grimaldi.
    Maman de deux enfants, je me suis forcément projetée avec mes filles, tout en espérant ne pas arriver à ce stade de détresse dans notre vie familiale.
    Virginie Grimaldi a l’art de nous faire passer du rire aux larmes en quelques lignes. Je suis fan de sa plume !

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  9. Nacera YAH dit :

    J’ai le sentiment qu’il n’y a que les personnes ayant vécu des épreuves de la vie qui peuvent comprendre le bien être de lire ce type de roman. Les histoires sont differentes mais se ressemble des épreuves des difficultés des liens et des envie de libertés. Ce qui rapproche les êtres ce sont les expériences communes. Passer du temps avec ses proches au lieu de laisser passer le temps.

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  10. Grande Lectrice dit :

    bonjour Betty Rose Books, enchantée de tomber sur ton blog. C’est Olivia de la couleur des mots qui m’a conseillé ton blog, je suis donc venue te faire un petit coucou par ici. Je trouve ça magnifique ce que vous faites avec vos blogs, en parlant et en promouvant la lecture et la culture !

    Pour en revenir à ta chronique, je suis très contente d’être tombée sur elle ! Je suis en train de lire ce roman en ce moment et je suis tout à fait d’accord avec toi ! C’est un très bon roman d’été !

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  11. Sahel dit :

    Juste…pourquoi donc l’auteur n’a nulle part précisé que le titre « il est grand temps de rallumer les étoiles »..soit dit en passant juste sublime, est un passage du prologue de Guillaume Appolinaire ( des Mamelles de Tiresias). ?

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