[Chronique] Libres et affamés (de vie, de rire et d’amitié) de David Arnold

Publié aux éditions Milan – Page Turnes – Mars 2018 – 319 pages
Traduction : Maud Ortalda
Merci à Page Turners pour cette lecture

Ce roman commence par un décès et se termine par un meurtre. Et, même si la police d’Hackensack aimerait en savoir plus, ce n’est pas un roman sur la mort.

C’est un roman sur :
Une famille de sublimes indésirables.
Un étrange jeu de piste pour disperser des cendres.
Un sous-marin abandonné au bord d’une rivière.
Un collectionneur d’histoires et de tatouages.
Le langage intime des claquements de doigts.
Ce que signifie vraiment « être cool ».
Les couchers de soleil, les glaces et les Super Chevaux de course.
L’amour de la peinture.
L’amour de la musique.
L’amour tout court.

ALERTE O.V.N.I LITTÉRAIRE

Quelle énigmatique 4e de couverture, n’est-ce pas ? J’avoue avoir eu un faible pour ce mystère, associé à une couverture qui nous montre une bande d’adolescents qui semble prête à affronter le monde. Et c’est tout à fait cela qu’il va être question dans ce roman. Ne vous attendez pas à un roman « ordinaire » à la trame « classique », il n’en est rien. Et si le temps s’écoule de manière étrange, ne soyez pas surpris. Une fois que vous entrez dans ce roman, vous voilà confrontés à des personnages atypiques, originaux, mais qui sont liés par quelque chose d’inestimable, ce qu’ils vous inviteront alors à découvrir au fil de l’aventure. Finalement, nous ne restons pas longtemps avec eux, mais la collision de la bande avec notre personnage numéro 1, Vic, entraine tout un éboulement. Et si l’amour était à la fois le début et la fin d’une histoire ?

Nous rencontrons en premier lieu Vic, un adolescent atteint du syndrome de Moebius et qui connait des difficultés à s’intégrer socialement. Très intelligent, Vic est pourtant malheureux depuis la mort de son père. Alors quand sa mère annonce qu’elle refait sa vie, Vic se rebelle pour la première fois et s’en va, désespéré, avec l’urne de son père. Dans son idée première, il souhaitait répandre les cendres à un endroit bien particulier. Mais notre histoire ne serait pas ce qu’elle est sans sa véritable rencontre avec Madeline, dite Mad. À la rue, le jeune homme va pouvoir compter sur l’aide de Mad, puis du reste de sa bande. Le point commun entre tous ces jeunes ? Ils n’ont nulle part où aller, ils ne sont nulle part à leur place. Venez donc faire connaissance avec Baz, le meneur de troupes, plus âgé et collectionneur d’histoires, son frère Zuz qui n’utilise pas le même mode de communication que nous et l’intrépide Coco, bien jeune, mais adepte du détournement de jurons. Ces gosses vivent ensemble et trouvent des solutions. Vic va rapidement tomber amoureux de cette ambiance et de la lutte pour la liberté, l’amour. 

« Ces jeunes étaient une bande d’oies. Ils étaient des pièces de puzzle, un coffre rempli à ras bord, organisés avec autant d’improbabilité que leurs étagères improbables dans leur habitat improbable. »

Une fois les présentations faites, tout se déroulera en bande ou presque. Nos jeunes sont interrogés au sujet d’un meurtre et reviennent ainsi pour nous sur les jours précédents l’assassinat en question. Les flics face à eux vont se retrouver quelque peu déstabilisés. Qui sont ces étranges jeunes ? Vic tout d’abord avec son syndrome de Moebius ne peut exprimer aucune émotion. Troublant quand vous cherchez à démêler le vrai du faux… Brouillant les pistes, il apparait clairement comme un gamin intelligent, et cette semaine à errer lui apportera beaucoup plus qu’il n’aurait pu l’espérer. Mad de l’autre côté n’a pas son pareil pour jeter le doute et amener un semblant de malaise dans la conversation. Mais que s’est-il passé réellement ce soir-là ? La police aura-t-elle ses réponses ?

Je ne vais pas vous mentir, c’est un roman vraiment très particulier. Je crois qu’on accroche ou pas. Moi, ce n’est pas l’histoire en elle-même qui m’a marqué, même si le déroulé est intéressant, mais l’amour qu’il y a au travers de chaque ligne, cette solidarité, ce courage et cette diversité. Car oui, ce roman est empli de diversité et de gamins qui savent cohabiter, ça fait du bien, c’est rafraichissant et on sort des clichés. D’abord avec un jeune homme pas comme les autres, au visage figé, Vic, puis avec Mad, un peu punk et rêveuse, les frères Kabongo qui ont connu bien des choses avant d’arriver ici, Noirs, muet pour Zuz, leur intégration n’est pas toujours la plus facile. Et enfin Coco, petite rouquine intrépide et vulgaire qui vient du Queens et ne vit que pour la crème glacée (et la bouffe en général).

« Un jour Papa m’avait parlé d’Henry Matisse, un artiste qui considérait que chaque visage possédait son propre rythme. Dans ses portraits, Matisse recherchait ce qu’il appelait « l’asymétrie particulière ». J’aimais bien cette idée. Je me demandais quel rythme pouvait avoir mon visage, et quelle était son asymétrie particulière. Je l’avais dit à Papa, une fois. Il avait répondu qu’il y avait de la beauté dans mon asymétrie. Je m’étais senti mieux. Toujours seul, mais un peu moins. « 

Le roman prend vite la forme d’une quête, une aventure que nous suivons alors avec avidité. Car au-delà de trouver ce qu’il leur faut, il vont aussi apprendre à se connaitre. Et si Zuz, qui ne parle qu’en claquant des doigts, exprimait beaucoup plus de choses qu’il n’en a l’air ? Si Vic dont la bouche est figée exprimait son sourire autrement ? Si Baz, qui collectionne les histoires avait sa propre histoire ? Et cette petite Coco, d’où vient-elle ? La clé de tout cela : s’aimer pour s’entraider et se comprendre. Le gang se forme et prend un emblème touchant, drôle et sensible. Car plutôt que de s’apitoyer sur leur sort, les ados apprennent à rebondir. L’amitié au premier plan, l’histoire d’un premier amour, la communication clé de leur union et le respect, aussi. Cette bande, elle pourrait faire « rêver » chaque gosse qui s’est senti rejeté, car eux ne rejettent pas les autres.

La narration va venir adopter un schéma bien particulier. Si Vic prend la parole en premier, il s’exprimera aussi du point de vue de l’interrogatoire qu’il subit, et nous lirons aussi les réponses de Mad à son propre interrogatoire. Ainsi, nous comprenons un peu mieux les jeunes, mais pas vraiment l’enquête. Peu importe, nous, nous saurons toute la vérité. Alors peut-être que ce qu’ils ont accompli n’est pas moral, mais qui pourra juger sans avoir toutes les données ? Qui peut condamner sans preuve ? Oui, ces ados sont affamés de rire et de nombreux traits d’humour se retrouveront au cours de l’histoire, mais aussi de vie, ils sont là, pas dans les meilleures conditions, mais qu’importe, ils veulent avancer. Et puis ils sont affamés d’amitié et de l’enrichissement que cela apporte. Ils se nourrissent des personnalités des uns et des autres et ça, c’est instructif. Si l’on ne peut pas dire que le livre est fascinant ou haletant, il entre en revanche dans la catégorie de ces histoires qui vous enrichissent. Car la diversité vient se mêler à la soif de liberté et de vivre, à la rage d’aimer et ressentir le moindre sentiment qui leur est offert. L’amitié est importante, mais au-delà, nous avons aussi la reconstruction, le deuil, la relation mère-enfant après un drame et puis le premier amour, mais le vrai, l’unique, celui qui ne se remplacera jamais.

« Nous faisons tous partie de la même histoire, et si nous n’avions pas le loisir d’en choisir l’intrigue, nous pouvions en revanche choisir quel genre de personnage nous voulions être. »

En bref, si ce roman jeunesse est atypique, il n’en est pas moins divertissant, rafraichissant et enrichissant. J’ai adoré suivre ces jeunes, même s’il faut un peu de temps pour comprendre le fonctionnement de cette histoire. Une quête touchante qui débouchera sur bien plus de choses qu’on ne peut l’imaginer. Une leçon de vie et d’amour façon contemporaine et réaliste. 

Je pense que si ce roman était plus accessible, je lui aurais décerné un coup de cœur pour la qualité des messages délivrés. Cependant, j’ai bien conscience qu’il ne satisfera pas tous ses lecteurs, car il faut vraiment s’accrocher à la trame narrative et trouver son ancrage en chaque personnage. L’auteure n’a rien fait pour nous rendre les membres du gang attachants, et c’est tant mieux, car ils sont beaux dans leurs imperfections, construits dans leurs déboires et maitres de leur propre histoire désormais. À découvrir et faire découvrir ! (à partir de 15 ans)


Couverture V.O. 

 

 

Pour savoir ce qu’est Moebius
Pour mieux comprendre la vie des frères Kabongo

24 réflexions sur “[Chronique] Libres et affamés (de vie, de rire et d’amitié) de David Arnold

  1. Vampilou fait son Cinéma dit :

    J’adore la couverture, elle est très style comics ! Et l’histoire me tente beaucoup également, alors je note évidemment ma belle 😃

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  2. Serena dit :

    Coucou,
    Je n’ai rien contre la litté jeunesse d’ailleurs souvent on fait de belles découvertes je trouve, puis le personnage de Vic me toucherait et m’intéresserait je pense 🙂
    Des bisous !

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  3. Natieak dit :

    Coucou
    De toute façon l’appréciation d’un livre est quelque chose de très personnelle. On peut accrocher sur la manière d’écrire, la façon qu’à l’auteur de tourner ses phrases, les mots employés.. qu’une autre personne n’aimera pas du tout. ^^ Pour ma part, vu ce que tu en dis, il me tenterait bien !

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  4. Cathy dit :

    Eh bien moi, tu m’as franchement donné envie de le lire !! Et plus tu dis qu’il est assez surprenant et particulier et plus ça me donne envie !! D’ailleurs le pitch et la 4e de couv me confortent dans cette idée !!

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  5. blogdonotracuspote dit :

    J’apprécie vraiment la qualité de tes chroniques, si bien argumentée. J’avais vu ton billet passer sur HelloCoton et immédiatement j’avais été voir. Cette couverture très graphique m’attire comme un aimant.

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  6. Daily about Clo dit :

    Je ne connaissais pas du tout ce livre alors merci à toi pour ce partage. Je viens de commencer un deuxième livre d’Agnès Ledig et je suis à fond dedans alors pour le moment, je l’ajoute sur la book-list 🙂

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