[Chronique] Après la chute de Dennis Lehane

Publié aux éditions Rivages – octobre 2017 -456 pages
Merci à Léa Touch Book et Rivages pour cette lecture

 

Journaliste à l’avenir prometteur, Rachel Childs grimpe les échelons à toute vitesse jusqu’au moment où la rédaction de sa chaine de TV l’envoie à Haïti couvrir le séisme de 2010. L’horreur dont elle est témoin lui cause un tel choc qu’elle s’effondre en direct devant les téléspectateurs. C’est le début de la fin. Elle perdra son emploi et restera sujette à des attaques de panique. Cette fragilité psychologique s’explique par le fait que la mère de Rachel, une manipulatrice perverse, lui a toujours caché l’identité de son père. C’est en se lançant dans une quête pour le retrouver qu’elle croisera la route du détective privé Brian Delacroix, dont elle tombera amoureuse. Leur mariage durera trois ans, jusqu’à ce qu’elle découvre qu’il mène une double vie. De la quête du père au mariage avec un homme parfait — trop parfait pour être honnête —, Rachel va aller de révélation en révélation et tout ce qu’elle croyait savoir sur elle-même et sur son entourage va être remis en cause…

Avant de commencer cette chronique, je tenais à remercier Léa Touch Book et les éditions Rivage. Je vous invite à nous rejoindre dans le groupe de lecture de Léa, qui est consacré à la littérature nord-américaine. Par contre, prévenez votre banquier vous allez vous ruiner face à toutes les belles idées lectures que Léa et les autres membres du groupe partagent. J’ai rempli ma B.A. en prévenant, mais venez, on est bien !

Quand j’ai vu que Dennis Lehane sortait un nouveau roman, découvert la couverture et sa quatrième, j’ai de suite eu envie de le lire. Je ne vais pas vous mentir, je ne suis pas du tout une spécialiste de l’auteur, je n’avais lu que Shutter Island mais que j’avais alors adoré. J’avais trouvé son écriture prodigieuse, l’intrigue extrêmement bien ficelée et l’incursion dans la psychiatrie magistrale. Le suspens était total, parfois les frissons étaient au rendez-vous et l’atmosphère oscillait entre lugubre et étouffante, entre huis clos de l’hôpital et île insondable. Alors forcément, je m’attendais à la même puissance narrative avec ce roman, à retenir mon souffle, découvre des énormités à côté desquelles j’étais passée, trembler, espérer, bref, vivre ma lecture. Ce ne fut malheureusement pas le cas. Certes, je ne vais pas pouvoir faire de comparatif à l’ensemble de l’œuvre de Mr Lehanne, comprenez bien que si je fais une petite comparaison, elle ne peut se faire que par rapport à Shutter Island. Et si Après la chute est un très bon roman, il est, pour moi, un roman moyen pour l’auteur. Je sais, c’est un peu injuste de dire cela. Peut-être a-t-il eu envie de quelque chose de plus simple, de plus facile à lire, je l’ignore. Je dis juste qu’il n’a pas répondu à mes attentes, mais qu’il est loin d’être mauvais pour autant, ce roman.

Notre romancier nous conte la vie d’une jeune femme, Rachel et de ses différentes quêtes. Rachel est à la recherche permanente de son père, qu’elle a très peu connu. Mais sa mère, femme bien particulière, ne veut rien lui révéler à ce sujet et pire encore, il n’apparait sur aucun papier de naissance de la jeune femme. Père totalement inconnu, et bientôt, sa mère emportera son secret avec elle. Deséspérée, et ce, malgré une carrière épanouissante dans le monde du journalisme, Rachel va vouloir engager un détective privé pour retrouver son géniteur. C’est ainsi qu’elle va rencontrer Brian. Malheureusement, les pistes ne donneront rien et elle se résigne presque à oublier son père. Toutefois, jamais elle ne parvient à se sentir complète, même auprès de son mari. En pleine ascension professionnelle, Rachel va chuter violemment. En effet, menée sur les lieux d’un terrible drame, elle sera témoin d’horribles évènements et perdra pied en direct, terrassée par une crise d’angoisse. Son retour à la vie civile se soldera par un divorce et un licenciement. Pendant ces années, Brian lui a écrit de temps à autre pour prendre des nouvelles. Et alors que Rachel développe un syndrome post-traumatique important mêlé de crises de paniques et d’agoraphobie, elle va se rendre compte que Brian détient la clé de son mieux-être. Petit à petit elle va se mettre à fréquenter de plus en plus l’homme charismatique et charmant qu’il est. Mais est-elle certaine d’avoir connu le pire ?

Rachel, dans les premières pages, celles où elle est à la recherche de son père pour mieux se comprendre et se débarrasser du sentiment d’abandon et de tout ce qui l’entoure (et croyez-moi c’est un paquet de choses), m’a beaucoup touchée. Tout simplement parce que j’ai vécu des choses très similaires et que ce qu’elle éprouvait, je l’éprouvais aussi. J’avais cette sensation de voir mes sentiments, mes émotions, ma vie couchée sur le papier, mais bien sûr pas dans tous les détails. Je me suis alors dit que le roman et moi nous étions bien partis, vraiment, et que cela allait être magistral. J’étais complètement subjuguée par le registre émotionnel employé, les conflits, les recherches sans fin. Mais bien entendu, ce n’est pas l’essentiel du livre, toutefois, vous comprendrez très vite que tout ce que vous narre Dennis Lehane a son importance, que ce soit dans la construction de l’intrigue ou encore dans la construction psychologique de notre protagoniste. Pour moi, c’est le gros point fort du roman : la psychologie de Rachel. On a l’impression de la connaitre comme une amie et ses réactions nous paraissent parfois naturelles. Bien entendu, elle nous réservera quand même des surprises. C’est une femme traumatisée par une expérience, déconstruite par l’absence de père, en pleine quête identitaire, détruite par le monde des médias qui l’a jetée comme un torchon, déboussolée par les hommes à qui il est difficile de faire confiance. Rachel va connaitre la dépression, mêlée au syndrome du stress post-traumatique et ne pourra vivre qu’enfermée, limitant ses sorties à des occasions vitales. Mais avec l’arrivée de Brian, Rachel va connaitre un nouvel élan.

Ce thriller est psychologique et en cela il excelle. Mais pas forcément de la manière à laquelle je m’attendais. Pour moi, il y aurait dû avoir un suspens incroyable, des rebondissements choquants (certes l’histoire n’est pas rose), et je pensais vraiment ressentir une tension, voire me sentir totalement dépassée, embrouillée. En fait, la psychologie se retrouve plus dans la personnalité de l’héroïne que dans l’intrigue. Bien entendu, il y a un twist majeur et Rachel, très intelligente et observatrice, va savoir comment réagir, sans toutefois gagner à tous les coups. C’est une femme qui, malgré ses faiblesses et traumatismes, sait se défendre et s’adapter en cas d’urgences. Elle incarne aussi celle qui donne tout ce qu’elle a et qu’on a plus intérêt à piétiner, car la vengeance sera alors terrible. Via l’histoire de Rachel, de son enfance jusqu’à la fin du roman, et aussi celle de Brian, des thèmes importants sont abordés même si parfois nous aurions aimé un peu plus de profondeur. Ainsi, c’est avec brio que l’auteur brosse un portrait des États-Unis aux mains des escrocs et soumis au caractère impitoyable des médias. Rachel connaitra même la paranoïa suite à son humiliation en direct, eh oui, la chute est dure. La lente remontée sera symbolisée par des étapes pertinentes et fascinantes, sur cette psychologie du personnage, je n’ai absolument rien à redire. La preuve, quand j’ai fermé le livre, Rachel m’a manquée, je voulais savoir comment elle allait après tout ce qu’elle a vécu…

Là où le livre ne m’a pas vraiment convaincue, c’est sur le cheminent total. Alors oui, j’ai aimé que Dennis Lehane prenne le temps de construire notre femme, mais aussi les différents échanges ou rencontres au fil des ans avec Brian, l’insaisissable Brian, mais, une fois l’énorme révélation arrivée, je me suis profondément ennuyée. Comme si le soufflet retombait. Bien que l’auteure ait réussi à accélérer le rythme et les actions, ainsi que l’entrée en jeu des personnages, etc., j’ai trouvé que le tout manquait réellement de suspens et de tension, d’émotions et de réactions pertinentes. Les personnages sont alors devenus clichés et j’ai vraiment regretté ce genre de choix. Car avec un tel potentiel et un tel travail en amont, je trouve dommage de ne pas être alle plus au fond des choses et surtout de ne pas en avoir fait un peu plus niveau dramatique et complications. Les personnages sont parfois trop stoïques face à tout cela et les heureux hasards ont fini par m’agacer. J’ai trouvé en fait la partie la plus dangereuse du livre surfaite, survolée, bâclée. Tout se déroule trop facilement, malgré les blessures tant physiques que psychologiques et certaines choses m’ont parues bien trop grosses pour rendre le tout crédible. Après, ce n’est ici que mon avis subjectif de lectrice, mais c’est pour moi un réel faux pas qui m’a gâché le plaisir de lecture et laissé un sentiment d’inachevé. Certes, la fin est ouverte et cela ne me dérange pas du tout, l’inabouti est vraiment dans l’ensemble de la seconde partie du roman.

Je vous ai beaucoup parlé de la psychologie de Rachel, celle de Brian est pour moi un peu trop subtile et la travailler plus aurait permis d’ajouter de la tension dans l’histoire, toutefois, l’auteur parvient à créer une sorte de confusion. Par contre, les personnages secondaires manquent de relief, à l’instar de l’associé de Brian, Caleb. On ne comprend pas vraiment comment il fonctionne, il manque des réponses, des éléments clés et on sent qu’il n’est pas investi dans toute l’histoire comme il le devrait. Ne parlons même pas de sa femme qui est plus qu’un détail et qui n’aura même pas la chance de connaitre une vraie histoire, devenant juste un accessoire de l’intrigue. En revanche la mère de Rachel nous était bien dessinée dans les débuts et cela nous permet de mieux comprendre la jeune femme et ses choix. Autant dire qu’entre un père porté disparu et une mère abusive, la construction identitaire fut peu aisée. Brian se montre fin psychologue, mais cet aspect sort de nulle part et ne nous sera pas vraiment expliqué. Certes, nous ne sommes pas obligés d’avoir toutes les clés en main, mais là, j’ai trouvé que ça manquait. L’histoire de Brian et Caleb est effleurée, mais touchante, j’aurais aimé en savoir plus. Bref, il y a du bon, du très bon même et des manques cruels. C’est ce qui fait que j’ai ce sentiment d’inachevé et que j’en suis la première déçue. Un bon thriller psychologique, mais Dennis Lehane sait faire mieux que cela.

Enfin, je voulais parler du rythme même du roman. Très sincèrement, l’introduction est passionnante, mais très longue et n’a rien du thriller. Nous suivons juste la vie de Rachel, ses études, ses amours, ses boulots, sa mère et ses mensonges, bref, la jeune fille qui devient femme et journaliste de terrain à succès. Mais, si cette partie est très intéressante et agréable à lire, n’aurait-elle pas pu être diminuée ? Car finalement la partie thriller ne commence qu’à la bonne moitié du roman, et les actions pures et dures dans le dernier tiers à peu près. Finalement, une grande place est accordée à la psychologie, mais seulement une minuscule à ce qu’on attend : le suspens, le drame, les révélations, la vie qui bascule à nouveau. Car au fond, ce sont deux chutes que va connaitre Rachel, mais la seconde est-elle vraiment pire que la première ? Ce qu’elle a vécu fait-il d’elle quelqu’un de bien ? Sommes-nous seulement le fruit de nos actions ? Nos décisions nous définissent-elles ? Oui, vous aurez de chouettes pistes de réflexion, mais en fermant le livre je me suis dit « J’ai passé un très bon moment. Mais tout ça pour ça ? Dommage, le postulat de départ et la construction de la protagoniste sont excellents, pourquoi ne pas en avoir tiré bien plus ? » Voilà, vous savez tout de mon appréciation immédiate, mais aussi plus réfléchie puisque j’ai mis plusieurs jours avant d’écrire cette chronique (trop longue j’en conviens). Avec Après la chute, attendez-vous plus à une quête identitaire qu’à un thriller même si ce dernier pointera le bout de son nez acéré en dernière partie de roman.

Après la chute est un roman agréable à lire et qui tente de mêler quête identitaire au thriller. Malheureusement, certaines choses ne sont abordées que trop superficiellement et le regret monte une fois la lecture terminée. Il demeure évident que Dennis Lehane excelle dans la psychologie des personnages et qu’il sait parfaitement raconter une histoire. Un moment agréable, mais au goût inachevé. 

Dommage, il ne manquait pas grand-chose pour que je puisse sincèrement retenir cette expérience de lecture. Alors oui, j’ai passé un bon moment et il est très difficile de lâcher ce livre, mais je reste déçue par certains aspects, tels que le manque de suspens et d’actions crédibles. Définir un peu mieux les personnages secondaires aurait été un véritable plus, bien que cela ne soit pas non plus indispensable. Enfin, j’ai trouvé les choses un peu trop faciles sur la dernière partie.

 

12 réflexions sur “[Chronique] Après la chute de Dennis Lehane

  1. douceurdelireblog dit :

    Malgré ce que tu en as pensé, ton avis me donne envie de le découvrir! J’adore les romans ou la psychologie des personnages est parfaitement développée et personnellement, cela ne me dérange pas quand il y a un peu moins d’action même si j’ai adoré Shutter Island… je note quand même tes réserves, j’y réfléchirai avant de l’acheter.

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  2. entrelespages dit :

    Je n’ai lu que Shutter Island car j’aime beaucoup le film (je trouve que l’image rend plus honneur à cette histoire que le texte soit dit en passant). Je pense que je lirai d’autres romans de l’auteur. Merci pour la découverte !

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  3. La route des lecteurs dit :

    Je n’ai pas encore lu Shutter Island alors qui me tente énormément ! Il serait vraiment temps que je découvre cette histoire si « terrible » !
    Après la chute ne me tente que moyennement, par contre. Après, peut-être que je lui laisserais peut-être sa chance .. À voir 😉

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