[Chronique] Ma vie de bacha posh de Nadia Hashimi

Publié aux éditions Castelmore – 20 septembre 2017 – 312 pages
Publié dans la collection 8-12 ans
Merci à Castelmore et Livraddict pour cette lecture.

La famille d’Obayda aurait bien besoin d’un peu de chance : depuis l’accident de leur père, la vie dans la campagne afghane n’est pas facile pour la fillette de dix ans et ses soeurs. La tante d’Obayda a une idée pour leur porter bonheur : transformer la fillette en bacha posh, c’est-à-dire la faire passer pour un garçon. D’abord désemparée, Obayda – désormais appelée Obayd – devient amie avec Rahim, une autre bacha posh. En sa compagnie, elle va découvrir la liberté…

« Un livre remarquable qui offre un aperçu de la vie en Afghanistan et évoque la différence des rôles attribués aux filles et aux garçons à travers le monde. » School Library Journal

Je tenais à remercier Castelmore pour m’avoir envoyé ce roman en partenariat avec Livraddict. Au départ, je voulais insérer ce livre dans un « Mercredi de l’enfance », mais finalement, je me suis dit qu’il ne méritait pas d’être enfermé dans cette case. En effet, bien que ce roman soit accessible au plus jeune, et pour ça, merci, Mme Hashimi, il ne leur est pas exclusivement destiné. J’entends par là que l’auteure y aborde des sujets très importants et que tout le monde gagne à en savoir plus sur le sujet. Ainsi, quelque soit votre âge, Ma vie de bacha posh peut vous séduire et je crois très fort en ce roman, qu’on peut appeler féministe, naturellement, mais pas seulement. Il permet à chacun de comprendre la position et la situation des femmes afghanes, mais de voir aussi le rayonnement dans son propre pays. Finalement, est-ce que nous ne gagnerions pas tous à être des bacha posh pour enfin aboutir à l’égalité ? Bien entendu, ce n’est pas la solution, mais l’expérience de notre jeune héroïne de 10 ans vous nous apprendre beaucoup de choses sur les comportements humains. C’est donc l’histoire d’une petite fille qui va enseigner beaucoup de choses aux lecteurs, de 8 à 188 ans (je voulais garder le 8^^).

Obayda est une petite fille afghane qui ne s’est jamais vraiment plainte de sa vie. Dernière fille de la famille, à vrai dire, la quatrième, elle a toujours aimé ses sœurs et ses parents. Ensemble, à Kaboul, ils avaient une vie agréable, bien entendu, sans luxe, mais suffisamment pour qu’elle soit épanouie. Mais un jour, suite à un terrible accident, le papa d’Obayda, se retrouve invalide et incapable de travailler. Ce qui veut dire que la famille n’a plus d’homme pour la faire tourner ni de travail pour payer les frais. Ils décident alors de se rapprocher de la famille du père, en campagne où la vie est beaucoup moins charmante. Mais le papa d’Obayda reste hanté par ses démons et ne reprend pas sa vie en mains. Sachant qu’avoir un garçon dans une famille fait venir le bonheur, tous décident qu’Obayda va devenir une bacha posh. C’est-à-dire que désormais, elle sera un garçon. Elle a l’âge idéal, après tout, puisque ses formes et sa puberté ne sont pas encore au rendez-vous. Devenue Obayd, la petite fille devenue petit garçon va pouvoir bénéficier d’un meilleur enseignement et de beaucoup de privilèges liés à sa condition de garçon. Finies les tâches ménagères à la maison, bonjour la confiance et la crédibilité auprès des adultes et commerçants et surtout le pouvoir de faire sa loi dans les cours d’école… Car oui, c’est ainsi que les choses se passent en Afghanistan. Obayd réalise qu’il va pouvoir faire du vélo, trainer après l’école, salir ses pantalons (et d’ailleurs, en porter !), moins se soucier de sa décence, jouer à plein de jeux interdits aux filles !

Avant de poursuivre vraiment cette chronique, je voulais vous expliquer un peu la « tradition » des bach posh. Car si cela nous est totalement inconnu, elle n’est pas si rare en Afghanistan et au Pakistan. Littéralement bacha posh signifie « habillée comme un garçon ». Les familles ayant recours à cette tradition élèvent alors une fille comme un jeune homme jusqu’à sa puberté. Cela permet de préserver le foyer de l’humiliation, bien souvent générée par la pression sociale : avoir un garçon capable de perpétuer le nom et les biens du père. Bien entendu, les filles sont parfois démasquées même avant leur puberté, mais la société admet parfaitement l’usage de ce statut dit transitoire. D’ailleurs nous le verrons bien avec Obayd qui, le premier jour de l’école, se dira que son enseignante n’est pas dupe. Enfin, il est évident que la bacha posh reviendra à son statut de femme dès la puberté vu qu’il lui faudra être prête à se marier et donc assumer les tâches domestiques. Nous comprenons donc dans ce roman, le réel malaise de cette tradition. La fille n’a aucune prise sur son destin que ce soit lors de son enfance où ses parents peuvent lui imposer de devenir bacha posh, ou à la puberté où, bien souvent, un époux lui sera choisi. C’est en cela que le roman de Nadia Hashimi peut être considéré comme féministe, car il dénonce ces inégalités et incite à regarder autour de soi, où nous en sommes.

Obayda est une jeune fille plutôt épanouie, bien qu’elle ait du mal à se faire à sa nouvelle maison et à la nouvelle condition de son papa. Lui qui était très joyeux et très présent pour ses filles n’est plus que l’ombre de lui-même. Déjà, ici, Nadia Hashimi soulève un point culture intéressant : survivre à un attentat. Je n’en dis pas plus, mais vous découvrirez au travers de cet homme, la réalité de Kaboul. Notre histoire se passe de nos jours, par conséquent nous sommes en adéquation niveau époque. Et pourtant, quel fossé avec les us et coutumes de chez nous! C’est une fascinante plongée dans la culture afghane que nous offre l’auteure, comme à chacun de ses romans. Et à chaque fois j’apprends des choses qui me révoltent, d’autres qui m’émeuvent. Ce que nous est bien mis en avant dans ce roman, c’est la place de chacun dans la famille, qui ici, malheureusement est déshonorée, car n’ayant pas de fils. C’est de là dont vient l’idée de transformer la petite dernière en garçon vu qu’elle n’est pas formée. Mais Obayda est quand même réticente à ce changement, même si elle l’accepte par amour pour sa famille. Adieu cheveux longs et jolis robes, tâches domestiques et morceaux de dernier choix à table. Après une adaptation de quelques jours, Obayd va être en mesure d’entrer à l’école et de se confronter au monde des garçons. Très rapidement, nous faisons la connaissance d’un personnage central et attachant : Rahim. Qui est ce garçon qui semble vouloir aider Obayd ? L’aurait-il démasqué ? Toujours est-il que Rahim devient son meilleur ami et que Obayd ne s’est jamais senti aussi heureux. Être un garçon lui donne tellement de libertés qu’il ne souhaite surtout pas retourner à sa condition de femme. Tout comme Rahim, pour qui l’enjeu est plus périlleux.

« Je te connais parce que je suis toi. » Rahim.

Oui, sans grande surprise, car la 4e le dévoile, Rahim s’appelle en fait Rahima et les deux jeunes vont se lier d’une amitié incroyable et inconditionnelle. C’est d’ailleurs totalement en tant que garçons qu’ils construisent cette relation et parlent d’avenir. Pourtant, il apparait évident qu’ils ne pourront jouir de cette « protection » éternellement, mais quand on est jeunes, on vit dans l’instant présent. Finalement, le rôle principal serait presque joué par Rahim(a) puisque c’est ce personnage qui va connaitre les revers les plus sordides de sa condition de femme. Rahim a 3 ans de plus qu’Obayd et donc beaucoup plus d’expérience et d’assurance, bientôt, elle ne pourra plus cacher sa féminité et sera en « âge » de se marier. C’est ainsi que notre petite fille, Obayda, va apprendre à se comporter réellement comme un garçon et jouir de tous les avantages. Mais notez bien qu’être bacha posh, ne s’arrête pas à l’école ou l’extérieur. Cette « mascarade » doit continuer à la maison. Ce qui ne sera pas toujours facile pour les sœurs ainées de notre héroïne, habituées à leur petite sœur, et surtout peu enclines à changer les habitudes et récolter de plus de tâches ménagères. Pour Obayd, ce sera encore plus compliqué de trouver sa place, surtout que contrairement aux attentes, son père ne semble pas retrouver sa joie de vivre.

Être un garçon donne des ailes et au lieu de devoir rentrer très rapidement, Obayd va jouir de sa liberté et découvrir sa ville sous un angle nouveau. Il prend aussi conscience des dangers, notamment ceux imposés par le seigneur de guerre, mais il est encore dans cette phase de l’innocence ou tout semble possible. D’ailleurs, l’une de ses rencontres va lui donner une idée formidable pour aider son père. L’accès aux informations nécessaires n’aurait jamais pu se faire dans la peau d’une fille. Petit à petit, nous voyons Obayd devenir garçon et aimer cela. Toutefois, rien ne va être simple. Quand Hakim disparaitra, Obayd remuera ciel et terre pour le retrouver. C’est ici que le lecteur prendra pleinement conscience de la condition de la femme dans la société afghane. Roman jeunesse et féministe, Ma vie de Bach Posh ne pourra pas vous laisser indifférent. Je dois vous avouer que le sort réservé au jeune ami d’Obayd m’a touchée, émue. Car je sais que c’est une vérité, pas une légende, pas un conte avec des créatures fantastiques. Avec un style fluide, mais incisif, l’auteure donne à son personnage d’Obayda, à la fois l’innocence de l’enfance, mais aussi la prise de conscience violente du monde qui l’entoure et des choix à sa disposition. Rude situation. Mais Obayd a la chance d’avoir une famille exceptionnelle et si son père traverse cette mauvaise phase bien compréhensible, l’amour des uns et des autres ne va jamais cesser. Au fond, nous comprenons qu’au-delà des vêtements de garçons, l’amour des siens a permis à Obayda de se développer, d’avancer et que le miracle attendu par sa famille va bien être de la partie. Sous quelle forme ? Je vous laisse la surprise, mais c’est une excellente conclusion à un roman qui n’oubliera jamais les êtres brimés, mais qui se devra, toujours, d’avancer. Enfin, je voulais ajouter que la maturité de la plume confère au récit une base solide et que c’est une histoire intergénérationnelle, et finalement, sans doute universelle. Nous observons à quel point Obayd prend confiance en lui, trouve de l’assurance et parvient même à se sortir de situations périlleuses, en se comportant comme Hakim l’aurait fait. C’est un pic de croissance psyuchologique intense, mais captivant.

Je voulais aussi ajouter deux photos qui nous indiquent en haut de chapitre où en est Obayda : fille ou garçon. Car comme je l’ai dit, l’aventure de bacha posh ne saurait durer éternellement.

Quoi qu’il en soit, ce roman jeunesse de Nadia Hashimi peut se lire à tous les âges. En tant qu’adultes, vous n’aurez absolument pas l’impression de lire quelque chose de « trop jeune ». Certes, la plume est ici plus accessible que dans les autres romans, mais la prose n’en est pas moins sublime. Toujours avec un respect culturel, mais un soupçon de dénonciation des inégalités, l’auteure vous entraine en Afghanistan en un tour de page et vous vous laissez porter par la sublime histoire d’amitié entre deux jeunes filles condamnées à faire semblant, pendant un temps, avant de retourner à leur condition, bien inférieure, de femmes. La notion d’amitié y est pure, profonde et s’affranchit totalement du genre. C’est grâce à cette relation qu’Obayd grandit et ouvre les yeux sur le monde. Pour autant, jamais nous ne passerons à côté de l’amour familial, qui est offert aussi au détour des pages et qui nous touche. Une histoire poignante, bouleversante même et qui nous montre une autre face du monde et nous aide à réaliser que le chemin sera long avant d’arriver à une égalité hommes-femmes. À lire si vous aimez les belles histoires et les visions féministes.

Note de l’auteur que je trouve intéressante
« Bien que cette histoire se déroule en Afghanistan, je nourris l’espoir qu’elle inspirera dialogue et réflexion sur les questions de genre à d’autres endroits du monde. J’ai choisi l’Afghanistan, car c’est la terre natale de ma famille, mais aussi en raison des tragiques inégalités entre hommes et femmes qui existent dans ce pays. […] La tradition des bacha posh existe, car les fils sont bien plus valorisés que les filles. Ces théories ne sont-elles propres qu’à l’Afghanistan ? Malheureusement, non. […] La bacha posh nous apprend beaucoup. Par un simple changement d’apparence, son potentiel change. Elle gagne en assurance. Sa valeur est revue à la hausse. Et pourtant, sous le vernis fragile de la masculinité, il s’agit de la même personne. Si l’on accepte de regarder au-delà du genre, de sonder l’âme d’une enfant, c’est tout un monde de possibilités qui s’ouvre à elle; elle pourra gravir les montagnes. Comme ce sera merveilleux de les voir toutes s’élancer fièrement, réchauffées par un soleil vibrant et stimulant. »

Ma vie de bacha posh est un roman qui devrait être lu dès le plus jeune âge, mais pas seulement. Contant l’histoire d’une petite fille de 10 ans qui va vivre dans la peau d’un garçon, Nadia Hashimi met à jour des valeurs essentielles et dénonce les inégalités hommes-femmes à travers le monde. Un récit féministe, mais aussi une sublime histoire d’amitié, d’amour et de famille. À découvrir absolument.

La couverture V.O. donne tout son sens au poème que je vous ai mis plus haut :

26 réflexions sur “[Chronique] Ma vie de bacha posh de Nadia Hashimi

  1. anouklibrary dit :

    Comme ta chronique reflète tout ce que j’ai ressenti ❤ « One half from the East » transcrit parfaitement ce roman et je crois que je le préfère largement à la version française.
    C’est la première fois que je lisais Nadia Hashimi et j’en suis bouleversée…

    J’aime

  2. Vampilou fait son Cinéma dit :

    Non mais déjà, la couverture est un véritable bijou, on y ajoute ces superbes illustrations de chapitres et cette histoire qui a l’air absolument sublime, au final, je veux tout simplement !

    J’aime

  3. Kathleen Torck dit :

    Wow, tu vends tellement bien ce livre! Rien que le fait de savoir que l’histoire se passe à Kaboul me donne envie de plonger dans l’histoire. Je ne connaissais pas du tout cette tradition et tu as su me rendre curieuse, il me faut ce livre!
    Merci pour la découverte!

    J’aime

    • BettieRose dit :

      Tout à fait ! Et pour comprendre, il faut apprendre. C’est pour moi une clé essentiel à la tolérance.
      Après, je ne dis qu’on doive approuver certaines coutumes, mais, si nous ne sommes pas du pays, il est important de les respecter même si cela nous semble dingue.
      J’avoue que le côté féministe en moi se révolte de telles inégalités, mais c’est toute une culture à révolutionner… Ca prendra forcément du temps. Quand tu regardes déjà rien qu’en Europe…aheum.

      J’aime

    • BettieRose dit :

      Vraiment, il est sublime !
      J’ai eu un peu « peur » face à un livre jeunesse mais finalement comme je le disais c’est tellement plus que cela ! (Sinon j’ai tout pour ton colis, mon mari devrait pour aller à la poste jeudi^^)

      J’aime

      • Xiouxiou dit :

        Ah trop bien!! 😀 J’ai hâte de le recevoir 🙂
        Bah d’habitude le côté jeunesse ne me fait pas peur, mais j’avoue que 10 ans je trouvais ça un peu jeune quand même ^^ Mais bon si c’est plus la culture et les valeurs qui ressortent alors ça pourrait tout à fait me plaire!

        J’aime

  4. La route des lecteurs dit :

    Je n’ai pas encore lu La perle et la coquille mais il me semble qu’on y parle également de Bacha Posh. Cet autre roman de l’auteure a l’air encore une fois très intéressant. Je commencerais par celui se trouvant dans ma PAL mais si il me plaît, je compte bien découvrir ses autres livres !

    J’aime

Un petit mot ? Une réaction ? Une émotion à partager ?

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.