[Chronique] Nulle part sur la terre de Michael Farris Smith

Publié aux éditions Sonatine – 24/08/17 -360 pages
Merci à Decitre (Coup de coeur des blogueurs), Sonatine et Netgalley pour cette lecture.

Une femme marche seule avec une petite fille sur une route de Louisiane. Elle n’a nulle part où aller. Partie sans rien quelques années plus tôt de la ville où elle a grandi, elle revient tout aussi démunie. Elle pense avoir connu le pire. Elle se trompe.
Russel a lui aussi quitté sa ville natale, onze ans plus tôt. Pour une peine de prison qui vient tout juste d’arriver à son terme. Il retourne chez lui en pensant avoir réglé sa dette. C’est sans compter sur le désir de vengeance de ceux qui l’attendent.
Dans les paysages désolés de la campagne américaine, un meurtre va réunir ces âmes perdues, dont les vies vont bientôt ne plus tenir qu’à un fil.

Avant de commencer cette chronique, permettez moi de m’excuser pour mon immense retard aux commentaires. Je prendrai le temps cette semaine de combler tout cela.

Nulle part sur la terre fait partie des romans de la Rentrée littéraire qui n’est pas passée inaperçu. Sonatine a fait fort avec ce roman noir, américain, où rien n’est épargné aux personnages du roman, sans pour autant partir dans le « trop ». Cette histoire touche forcément le lecteur qui ne pourra que se sentir impuissant face aux coups du sort et à la tristesse qui suinte entre les lignes. Pourtant, c’est aussi un roman porteur d’un message d’espoir, aussi infime soit-il : le droit à la seconde chance. J’ai passé un très bon moment de lecture avec Nulle part sur la terre et je me suis terriblement attachée aux personnages.

Que feriez-vous si vous n’aviez plus que quelques dollars en poche, votre petite fille accrochée à votre main et nulle part où aller? Personne pour vous aider. Pas de famille ni d’amis. Un sac poubelle pour seul bagage. Vous seule et cette enfant que vous voulez protéger. Cette enfant qui, vu votre histoire, n’aurait jamais dû naître. Mais elle est là et le temps n’est pas à la réflexion, plutôt à l’action. Marcher, encore et toujours, et revenir. Échouer, retour à la case départ dans la sinistre ville qui a connu grand nombre de vos déboires, mais vous a, depuis, plus ou moins oubliée. Survivre à tout prix, prendre tous les risques, de toute façon, Maben a connu le pire dans sa vie, alors que risque-t-elle de plus ? Prête à tout pour survivre, elle ne s’imagine pas que, non, elle n’a pas vécu le pire et que l’humanité avec son immense part sombre pourrait bien la faire tomber encore plus bas. Mauvais timing, mauvaise idée, mauvaise rencontre, la fuite. Une vie d’errance sans jamais trouver sa place.

Et puis parallèlement à Maben, nous avons Russel, personnage brisé par 11 ans de prison. Sa dette, il l’a payée. Un accident, une irresponsabilité. Mais à son retour, il est très attendu, certains ne vivent que pour l’instant où il mourra sous les coups. Assoiffés de vengeance, les deux frères qui le suivent pourraient bien compliquer son retour dans la seule ville qu’il ait connue. Mais Russel, perdu, désorienté, en a vu d’autres et il est prêt à tout pour tenter de redonner un minimum de sens à son existence. La femme qu’il aimait n’est plus bien loin, mais que faire après 11 années à l’ombre ? Un jour, le destin vient mêler le chemin de Maben et Russel. Ensemble, survivre deviendra leur priorité. Mais plus que tout, rester le plus loin possible des soupçons concernant un meurtre très récent dans la petite ville.

Ce qui nous marque en tout premier lieu dans ce roman, c’est l’atmosphère. Elle vous étouffe, vous oppresse. Vous avez chaud, vous sentez l’odeur de l’asphalte et du désespoir. Celle de l’alcool qui fait oublier et de la violence sous-jacente, collant à la peau comme un tee-shirt trop humide. La déchéance, l’échec, les oubliés de l’Amérique, ceux qui, loin du rêve américain, survivent et s’accrochent. Les questions morales y sont plus complexes qu’ailleurs et les portes de sorties peu glorieuses. Comment Russel peut-il renaître dans cette sinistre ville ? Et comment Maben peut-elle y trouver son dernier espoir ? Un lac pour refuge, la nature pour épancher son désespoir dans les relents d’alcool et de remords. Contempler pour oublier. Imaginer pour ne pas sombrer. Mais demain ? Demain, il faudra à nouveau se battre, mais tenter de garder espoir. Maben et Russel ne sont pas des personnages ordinaires. L’auteur a su leur donner toute une complexité que ne les rend que plus touchants, même si parfois elle semble les tenir à distance du lecteur. Méfiance, une vie trop abusée laisse ses traces. Et nous, nous suivons ces âmes en peine qui touchent le fond, jour après jour, et qui vont devoir se faire confiance.

Nulle part sur la terre n’est pas une romance. Nos deux personnages ne sont pas là pour nous faire rêver et donner des papillons dans le ventre. Entre viol, violence, prostitution, drogues, alcools et toutes les misères possibles, ils sont brisés et le restent. Ce roman noir est tellement bien maitrisé qu’il en devient addictif et nous fait retenir notre souffle à chaque instant. La plume excelle à créer l’ambiance sinistre dans laquelle elle plonge des personnages qui ne croient plus en rien. Mais entre eux, cette petite fille qui, elle, n’est pas encore totalement désabusée. Se battre pour Annalee, seul rayon de soleil dans cet océan grisé par le poids des années. Annalee qui représente l’amour inconditionnel, celui d’une mère pour sa fille. La langueur du roman, la lenteur des actions et la description si réaliste des pensées et douleurs deviennent pesantes, si sombres qu’on ne peut s’empêcher d’avancer pour tenter de voir une issue, une main tendue. À l’aide de ses personnages fracassés auxquels il a pris le temps de dessiner une psychologie développée, Michael Farris Smith nous dresse un portrait saisissant de l’Amérique oubliée. Roman noir par excellence, Nulle part sur la terre fait partie de ces histoires qui marquent et que l’on n’oublie pas. Le poids du destin, des choix, des erreurs, du chemin à parcourir vient percuter le lecteur de plein fouet qui ne pourra alors que s’interroger sur la part du hasard et de la malchance dans le parcours de deux âmes perdues, se trouvant en pleine campagne américaine. Un mot ressort à la fin de ce récit, pour moi, la résilience. Sans bien savoir si Russell et Maben y auront véritablement droit.

Nulle part sur la terre est un roman noir qui excelle dans la psychologie de ses personnages. À l’aide d’une plume particulièrement habile, l’auteur nous plonge dans un climat oppressant et bien terne. Les rencontres et les chemins pris signent ici une nouvelle destinée. Mais l’espoir appartient-il encore à ces âmes perdues et oubliées de l’Amérique profonde ? Excellent.

9 réflexions sur “[Chronique] Nulle part sur la terre de Michael Farris Smith

  1. Vampilou fait son Cinéma dit :

    J’aimerais un peu plus me pencher sur cette maison d’édition, elle me paraît tellement prometteuse ! Du coup, tu me donnes bien envie de commencer par celui-là ma belle 😃

    J’aime

Un petit mot ? Une réaction ? Une émotion à partager ?

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.