[Chronique] Les filles de Roanoke de Amy Engel

Publié aux éditions Autrement -Juin 2017 – 347 pages

« Soit nous fuyons, soit nous mourons. »

Tout le monde admire les filles Roanoke. Elles sont belles, jeunes, riches et vivent avec leurs grands-parents au milieu du Kansas, dans un immense domaine noyé de soleil. Leur vie semble si douce… Pourtant Camilla, Penelope, Eleanor, toutes les filles de la lignée ont connu des fins tragiques. Il y a quelque chose de pourri au royaume des Roanoke.

Plongée étouffante au coeur des relations troubles d’une famille d’aujourd’hui, Les Filles de Roanoke est un véritable page turner atmosphérique et haletant. Amy Engel distille avec talent le poison des non-dits, dans la lignée des grands romans de Joyce Carol Oates.

Si vous êtes amateurs de Young Adult, le nom de l’auteure, Amy Engel ne vous est peut-être pas inconnu. Auteure de la duologie The Book of Ivy, que j’ai, pour ma part, totalement adorée, elle signe ici une œuvre d’un tout autre registre. J’ai eu envie de découvrir sa plume dans un roman contemporain qui aborde les secrets de famille sous un jour particulièrement acide, acéré et percutant. Quelque chose de pourri pour les Roanoke ? Je voulais découvrir cela et comprendre quel poison coule dans les veines de ces filles. Mission réussie, page turner hautement addictif, Les filles de Roanoke fait partie de ces romans qui ne vous quittent jamais tout à fait. Soyez prévenus.

Voilà presque 10 jours que j’ai terminé ce roman et que je ne savais comment vous en parler. Autant le dire tout de suite, c’est un coup de cœur. Une claque. Un livre qui rentre en vous et vous imprègne. Qui vous hante et vous colle à la peau. Qui vous fascine, vous obsède et vous révolte. C’est une lecture toute en contraste, tellement saisissante qu’elle en devient inoubliable. Si vous connaissiez Amy Engel dans son roman young adult, oubliez tout. Ici, sa plume prend de la hauteur, de l’acidité, de la lumière, de la beauté et de la laideur. Elle attaque des sujets lourds, n’a pas peur de choquer par ses mots et plonge au cœur d’un des secrets les plus bien gardés, celui de filles de Roanoke, vaste demeure biscornue où règne l’esprit familial. Mais alors, pourquoi autant de jeunes femmes sont mortes ? Pourquoi s’enfuient-elles ? Qu’est-ce qu’il se passe dans cette maison ? Le jour où Allegra disparait, l’univers de « Papi » s’effondre. Elle est la dernière fille de Roanoke et personne ne sait où elle a pu partir. Il n’y a qu’une personne qui connaisse très bien Allegra, sa cousine, Lane. Celle qui, à la suite de la mort de sa propre mère (fille de Roanoke elle-même), vint habiter à Roanoke. Au début pour Lane, c’est le paradis et elle ne comprend pas le sombre tableau que sa mère, qui s’en est enfuie et vivait dans la démence, lui a peint. Papi l’accueille à bras ouverts et Allegra est alors heureuse d’avoir enfin une amie, une cousine avec qui des liens très intenses vont se former. Seulement, Lane n’est pas restée et près de 10 ans plus tard, elle finit par accepter de revenir. Pour Allegra, uniquement. Mais remontent aussi les souvenirs qu’elle nous conte, la quête de vérité et d’identité, l’amour laissé sur place, Cooper, et son ami Tommy.

L’auteure va nous entrainer dans cette histoire de famille, sur plusieurs générations d’une manière brillante et efficace. Amy Engel alterne les chapitres « Alors » qui content le passé de Lane dans cette famille et ce qu’il s’est passé au cours d’un été, et les chapitres « Maintenant » qui, eux, suivent les recherches pour Allegra, cette adorable et parfois acide jeune fille qui compte tant pour Lane. Entre ces chapitres, surviennent de temps en temps le portrait d’une des filles de Roanoke et son destin, funeste ou fugitif. Petit à petit les pièces s’emboîtent et nous comprenons le drame qui se joue entre ses murs. Les masques tombent et l’horreur apparait. Manipulation, perversion, mensonges, dissimulations, tant d’éléments qui rendent encore plus palpable l’innommable vérité de Roanoke. Les filles viennent alors vous hanter, courir sur vos mains tenant le livre et vous lancent un appel. Un appel que personne n’a jamais pu entendre, tant il était enfoui. À Lane de décider de l’avenir de la lignée Roanoke. Elle seule peut retrouver Allegra, qu’elle soit vivante ou morte. Elle seule peut trouver la clé de cette histoire.

Mais Lane ne sera pas épargnée sur place. Entre son grand-père toujours aussi mielleux, son ami Tommy désespéré par les circonstances et Cooper, l’amour d’un été qui garde beaucoup de rancœur pour elle, elle va devoir trouver son chemin. Réaliser ce qu’elle a fait de sa vie, comprendre ce qu’elle a fui et ses conséquences. Elle va devoir faire face à son propre aveuglement, à ses désirs et sentiments. Son existence même va alors entrer en collision et conflit avec Roanoke. Cet endroit qu’elle avait tant voulu découvrir et qui, le temps d’un été, lui a tant promis. C’est aussi l’occasion de décortiquer le caractère d’Allegra, une jeune femme bien loin d’être ordinaire. Portraits de famille ou procès familial, le choix ne nous appartient pas et nous regardons le château s’écrouler. Lane n’est pas une héroïne de roman typique, bien au contraire. Elle n’est pas forte, elle survit. Elle se protège comme elle le peut, elle a tant essayé d’être normale, mais à quoi bon ? Toutefois, Cooper sera toujours là pour elle, comme une constante essentielle de son existence. Quant à Tommy, s’il est accablé par des remords et une perte significative, il reste quelqu’un de bien, qui n’a, malheureusement rien vu d’un drame qui se jouait sous ses yeux.

La plume d’Amy Engel est bluffante, stupéfiante. Cette écriture toute en contrastes met mal à l’aise, vous colle à la peau. Vous ne savez pas toujours où trouver la lumière dans l’obscurité, la pudeur flirte avec l’obscénité, la politesse avec les mots crus, les mensonges avec des vérités acérées, l’innocence est anéantie, l’amour se fait cruel et brutal, la confiance s’établit difficilement et le rejet, la jalousie viennent achever les émotions pourtant déjà rudes de notre histoire. C’est une véritable révélation pour moi, que ce roman. Si j’avais aimé la plume de l’auteure dans The Book of Ivy, où elle avait déjà cette capacité à écrire en jouant des contrastes, ici ce n’est que plus puissant, le contexte et le genre s’y prêtant mieux et cela donne un roman totalement inoubliable pour celui qui aura pris le temps de lire, écouter, comprendre. C’est donc un coup de cœur absolu et 10 jours plus tard, mon avis n’a pas changé. Je ne peux que vous recommander de le lire, j’espère que vous l’aimerez autant que moi et saurez en saisir les nuances artistiques et comprendre les rouages d’une destruction familiale et du pouvoir des mots. Enfin, notons que l’auteur excelle à créer et installer durablement une ambiance, à la limite du gothique, dans la chaleur d’un été, et rend le tout oppressant et étouffant. Cette façon de modeler une atmosphère n’est pas sans rappeler le talent de Laura Kasichke ou de Joyce Carol Oates, tout en conservant sa propre signature littéraire.

Les filles de Roanoke est un roman percutant et perturbant. Le tabou flirte avec la légèreté de l’été, l’amour avec la cruauté, les contrastes s’enchainent sous la plume d’Amy Engel et nous entraine toujours plus bas dans la déchéance. Restent alors l’espoir et la reconstruction, mais rien n’est gagné. Manipulation, pouvoir, perversité et destruction familiale sont au cœur de ce roman fascinant et magistral. Coup de cœur.

12 réflexions sur “[Chronique] Les filles de Roanoke de Amy Engel

  1. Vampilou fait son Cinéma dit :

    J’ai évidemment beaucoup entendu parler de sa précédente duologie, mais tu vois, ce roman me fait bien plus envie et ce que tu en dis, me le confirme carrément d’ailleurs !

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  2. leslivresderose dit :

    Très jolie chronique! J’aime beaucoup les secrets de famille mais dans un genre plus soft et moins oppressant en général! Pourtant, même si ça sort un peu de mes habitudes, j’ai bien envie de tenter ce roman maintenant! 😉

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  3. Magali dit :

    Très belle chronique qui me donne envie de lire ce roman! L’atmosphère que tu décris et cette « malédiction féminine » me fait un peu penser à The Virgin Suicides de Jeffrey Eugenides, même si cette histoire doit être assez différente…

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  4. chloesbooksandco dit :

    J’ai vu ce roman à sa sortie et j’ai vraiment été tentée car j’ai adoré sa duologie. Ta chronique m’a encore plus donné envie de découvrir ce nouveau roman !! Il ne va pas tarder à atterrir dans ma bibliothèque celui-là ^^

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