[Chronique] Pourvu que la nuit s’achève de Nadia Hashimi

Publié aux éditions Milady – 7 juillet 2017 – 544 pages
Merci à Milady pour cette lecture

Lorsque Zeba est retrouvée devant chez elle, le cadavre de son mari gisant à ses pieds, il paraît évident aux yeux de tous qu’elle l’a tué. Depuis son retour de la guerre, Kamal était devenu un autre homme, alcoolique et violent. Mais cette épouse et mère de famille dévouée est-elle vraiment capable d’un tel crime ? Présumée coupable, Zeba est incarcérée dans la prison pour femmes de Chil Mahtab, laissant derrière elle ses quatre enfants.
C’est à Yusuf, fraîchement revenu des États-Unis pour régler une dette symbolique envers son pays d’origine, que revient la défense de ce cas désespéré. Mais alors que son avocat l’exhorte à parler, Zeba garde obstinément le silence. Quel terrible secret cache-t-elle ? Qui cherche-t-elle à protéger en acceptant de jouer le rôle du suspect idéal ? Il faudra beaucoup de courage à Yusuf pour braver un système judiciaire corrompu et faire innocenter celle que tout le monde voit déjà pendue haut et court.

Titre original : A House Without Windows 

 

Un nouveau roman de Nadia Hashimi ne pouvait que me donner l’immense envie de le lire. L’an dernier je découvrais la plume de l’auteure avec Si la lune éclaire nos pas. Depuis, c’est une évidence, l’auteure entre dans mon top et je me suis promis de suivre ses publications. Une nouvelle fois ici, l’auteure met en avant une femme au destin particulier et l’action prend place en Afghanistan. Comme personne, Nadia Hashimi nous immerge dans un pays, un contexte, un mode de vie, des coutumes, des lois, une religion souveraine. Je ne vais pas vous le cacher, ce roman se révèle sombre et un sentiment d’impuissance mêlé à celui de l’injustice vous saisira bien souvent. Mais, en dépit de ces émotions, vous continuerez de lire, avides de connaitre le sort de Zeba et des autres personnes que nous rencontrons dans toute cette histoire. Et vous chercherez la lumière, attendrez que la nuit s’achève et (référence au titre original) qu’une fenêtre s’ouvre dans cette maison si obscure.

« J’avais imaginé un million de morts pour mon mari : il aurait pu mourir frappé par la foudre. Ca aurait été tellement plus simple pour tous le monde : un éclair tombé du ciel. Une fin douloureuse mais brève. Hélas, les orages ne sont jamais là quand on a besoin d’eux. »

« C’est le genre de bruit que nul ne voulait entendre. Le genre de bruit dont on préférait se détourner ». 

Zeba, fille de Gulnaz, redoutée jadugar (sorcière) est mariée à Kamal depuis des années. Ce dernier n’est pas un homme bon, mais Zeba survit et avance pour ses enfants. Un jour pourtant comme les autres, quelque chose, un bruit plus exactement, mais aussi un pressentiment, attirent Zeba dans son jardin. Quelques minutes plus tard, elle est retrouvée à genoux devant le corps sans vie de son mari et couverte de sang. L’évidence frappe le village et le chef de la police : Zeba est une meurtrière, elle a assassiné de sang-froid son mari. Elle est alors conduite en prison où elle se mure dans un silence protecteur et salvateur. Yusuf, américain, mais d’origine afghane, revient dans son pays pour aider à défendre les gens sans moyens. Bon avocat, il sera profondément bouleversé de sa rencontre avec Zeba. Déterminé à la défendre il va tout faire pour qu’elle s’ouvre à lui et lui raconte ce qui s’est passé. Mais Zeba est une femme d’honneur et elle reste silencieuse. Petit à petit, la vie en prison va prendre une saveur différente pour notre femme accusée sans preuve. Elle va vite comprendre qu’ici, règne l’injustice. Pourrait-il en être autrement dans un pays où la parole d’une femme vaut deux fois moins que celle d’un homme ?

La première chose que j’ai admirée dans ce roman c’est le soin apporté aux personnages et à leur histoire. Nadia Hashimi a pris le temps de nous dépeindre leur vie et les différents contextes, les heurts et les joies, les visions du monde et les guerres. Ainsi, nous apprenons à connaitre Zeba mais elle ne s’ouvre pas plus au lecteur qu’à son avocat. Nous comprenons toutefois rapidement que c’est une femme bien et que derrière son apparente culpabilité se cache un secret. Peut-être a-t-elle vraiment tué son mari, mais pas sans « bonne raison ». Qui était Kamal ? Comment vivait la famille ? Qui sont les membres de cette famille ? Sont-ils des gens respectables ? Quels sont leurs péchés ? Autant de questionnements et d’immersion culturelle qui, petit à petit nous plongent dans un pays que nous ne connaissons que si peu. Bien entendu, il s’agit de défendre Zeba et de lui éviter la peine de mort, donc l’aspect justice sera omniprésent. Mais cette justice se fait plus par les voies d’Allah que celles d’une véritable loi. La femme n’y a que peu de place, peu de chance de s’en sortir sitôt qu’elle est accusée. Viennent aussi les rencontres avec les autres détenues, pour la plupart accusées à tort de zina (relations sexuelles hors mariage ou adultère).

Le sentiment le plus saisissant de ce roman est très probablement l’injustice. Nous allons en croiser encore et encore. Nous devons faire l’effort de comprendre un pays qui ne fonctionne pas comme nous. Mais nous ne pouvons pas non plus tout accepter. Profondément féministe, ce roman nous donne envie de nous impliquer et d’aider ces femmes enfermées et condamnées à une mort certaine. Nous nous sentons aussi impuissants, révoltés. Mais Nadia Hashimi sait parfaitement doser les émotions et nous fera passer également de doux moments auprès de personnages variés, elle instillera l’espoir au cœur d’une prison si sombre où l’odeur de la mort imprègne chaque coin de mur. Elle nous apprendra ce qu’est l’honneur et le sens du sacrifice, mais aussi la peur, la reconnaissance et surtout l’amour. L’amour d’une mère pour ses enfants, d’une femme pour l’innocence, d’une jadugar pour la justice…

La mère de Zeba est un personnage atypique qui m’aura beaucoup marquée. Oui, Gulnaz est différente et sa réputation de jadugar n’est plus à faire. Mais elle nous réserve un tas de surprises et surtout, c’est une femme forte et indépendante qui n’a pas peur de s’élever contre les hommes et leur toute-puissance. Les codétenues, elles, ont chacune une histoire à nous raconter et bien souvent, l’émotion et la rage sont au rendez-vous. Yusuf va nous aider à comprendre à quel point le pays est empêtré par des lois et une morale qui ne tiennent plus la route. Chaque mot, chaque action nous apporte de la connaissance et de la compréhension. Nous ne ressortons pas indemnes de cette lecture, mais bien changés et les pensées se dirigent alors vers ces femmes privées de liberté bien souvent pour des crimes qu’elles n’ont pas commis ou pour leur seule faute d’aimer un homme. Soulignons enfin, l’amour des mots et des rimes dont nous gratifie Zeba tout au long de cet enfer. Encore une fois, ce roman est une réussite totale et un coup de cœur magistral.

 

Ce nouveau roman de Nadia Hashimi ne peut laisser personne indifférent. Un intense sentiment d’injustice imprègne l’histoire et nous cherchons à comprendre le sens des lois d’un pays qui ne fonctionne pas comme le nôtre. Profondément féministe, le roman nous offre également une sublime notion d’honneur et de sacrifice. Un nouveau coup de cœur, surgi de l’obscurité.

 

28 réflexions sur “[Chronique] Pourvu que la nuit s’achève de Nadia Hashimi

  1. Une plume d'Encre dit :

    J’ai lu et fait une chronique sur mon blog sur le roman La Parle et La Coquille de cette auteure et j’ai tellement adoré ! Je compte également lire ses autres romans et comme toi suivre ce qu’elle écrit car c’est un vrai coup de coeur !

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