[Chronique] No Home de Yaa Gyasi

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Publié aux éditions Netgalley – Janvier 2017 – 450 pages
Merci à Netgalley et Calmann-lévy pour cette lecture

resumeDeux soeurs à la destinée bouleversante.
Trois siècles d’histoire.

« Une réussite éclatante. »
Los Angeles Times

XVIIIe siècle, au plus fort de la traite des esclaves. Effia et Esi naissent de la même mère, dans deux villages rivaux du Ghana. La sublime Effi a est mariée de force à un Anglais, le capitaine du Fort de Cape Coast. Leur chambre surplombe les cachots où sont enfermés les captifs qui deviendront esclaves une fois l’océan traversé. Effi a ignore que sa soeur Esi y est emprisonnée, avant d’être expédiée en Amérique où des champs de coton jusqu’à Harlem, ses enfants et petits- enfants seront inlassablement jugés pour la couleur de leur peau. La descendance d’Effia, métissée et éduquée, connaît une autre forme de souffrance : perpétuer sur place le commerce triangulaire familial puis survivre dans un pays meurtri pour des générations.
Navigant brillamment entre Afrique et Amérique, Yaa Gyasi écrit le destin d’une famille à l’arbre généalogique brisé par la cruauté des hommes. Un voyage dans le temps inoubliable.

Un autre résumé plus révélateur du début du roman : Maama, esclave Ashanti, s’enfuit de la maison de ses maîtres Fantis durant un incendie, laissant derrière elle son bébé, Effia. Plus tard, elle épouse un Ashanti, et donne naissance à une autre fille, Esi. Ainsi commence l’histoire de ces deux demi-sœurs, Effia et Esi, nées dans deux villages du Ghana à l’époque du commerce triangulaire au XVIIIe siècle. Effia épouse un Anglais et mène une existence confortable dans le fort de Cape Coast, sans savoir que Esi, qu’elle n’a jamais connue, est emprisonnée dans les cachots du fort, vendue avec des centaines d’autres victimes d’un commerce d’esclaves florissant avant d’être expédiée en Amérique où ses enfants et petits-enfants seront eux aussi esclaves. Grâce à un collier transmis de génération en génération, l’histoire se tisse d’un chapitre à l’autre : un fil suit les descendants d’Effia au Ghana à travers les siècles, l’autre suit Esi et ses enfants en Amérique.

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/!\Chronique un peu atypique /!\

Le point de départ

Point de départ du roman : un arbre généalogique très complexe, nous permettant de situer chaque personnage que nous allons rencontrer au cours de l’histoire. En effet, ce roman est une succession de mini-histoires, des tranches de vies piochées dans la descendance d’Effia ou Esi, les deux soeurs séparées depuis toujours. Si un doute vous assaille sur un personnage, il vous suffit de vous référer à l’arbre et vous vous remémorez de suite les personnages avant lui. Car, même si ces personnages sont nombreux, chacun occupant un chapitre du roman, ils sont tous marquants, touchants, forts. Avec des destins plus ou moins heureux, des chemins de vies plus ou moins compliqués, ils parviennent à nous faire ressentir leur douleur d’être Noir dans un monde de Blanc ou même sur leurs propres terres que les Blancs décident alors de coloniser. Déracinés, perdu, abusés, utilisés, exploités, rejetés, séparés, tués… Autant de destins tragiques au fil des années mais subsiste l’espoir pour ces hommes qui se sentent nulle part chez eux. No home porte alors parfaitement son titre : comment se sentir chez soi quand on a été arraché à sa propre Terre et quel est devenu impossible de la reconnaitre avec le temps ? Comment se sentir chez soi quand on est séparés de ses parents, de sa femme ou même de son enfant ? Une interrogation constante sur la légitimité du lieu de vie et de la difficulté à survivre dans un milieu hostile et perméable à l’évolution.

Les destins fascinants des descendances des deux soeurs

Mais pour aller plus loin, ce sont les deux premiers chapitres qui vont déterminer tout le reste du roman. En effet, nous allons y rencontrer les destins bien différents d’Effia et d’Esi et dès le début, votre coeur saigne. Vous vous sentez impuissant face à tant de cruauté, de malheur. Honteux de savoir que oui, l’homme blanc s’est permis de violer ces femmes, tuer ces hommes et les vendre. Les arracher à leur famille, leur racine et exiger d’eux de se tuer à la tache et de se taire. De travailler plus que les autres et d’avancer où on leur dirait. Il devient alors fascinant de voir cette différence poignante entre le destin de la descendance qui est aux USA et celle qui est restée au Ghana. Vous pourriez croire que les Etats Unis offrent une nouvelle perspective de vie, mais encore faut-il pouvoir être libre.

Une conteuse exceptionnelle et un travail de mémoire incroyable

Si le livre est aussi fort, puissant, captivant, c’est indéniablement en raison du talent de conteuse de l’auteure. Vous pourriez juste vous asseoir autour du feu et l’écouter raconter toutes ces histoires, aussi difficiles soient-elles pour reconstituer une saga familiale fascinante, oscillant entre Ghana et Amérique. Les destins croisés, mêlés ou éloignés nous fascinent plus que tout et nous attendons avec la plus grande impatience de savoir où cela va mener chacun. Rendez-vous compte du travail fourni par l’auteure : elle vient couvrir 300 ans. Trois siècles d’histoire tumultueuse et dramatique. Le tout dans le but d’achever un travail de mémoire fascinant et romancé. Un hommage puissant et lumineux à ceux qui ont souffert, afin que cette part de l’Histoire ne tombe jamais dans l’oubli et que l’Homme à jamais se souvienne de ce que ses ancêtres ont accompli.

Chaque personnage suivi est d’une belle complexité, et nous avons alors tout à découvrir de lui. Ce n’est pas parce qu’il est de telle descendance qu’il va forcément agir comme on l’attend et défendre sa liberté de la même manière. On ne se défend pas pareil dans les mines que dans les plantations ou sur ces sinistres bateaux appelés Négriers. On n’a pas le même poids que l’on soit homme ou que l’on soit femme. Les choses mises en perspective nous offrent une vision globale d’une vie où rien ne vient totalement changer. Ce livre, loin d’être un manuel d’histoire, constitue la saga familiale fascinante par définition et ne pourra que vous toucher. Chaque personnage a ce qu’il faut pour vous embarquer et vous séduire. Il se pourrait que vous versiez quelques larmes ou que vous criez intérieurement face à la cruauté et l’injustice. Mais rassurez-vous, quelques moments heureux nous sont offerts également. Ceux qui se passent dans l’amour et la lumière de liens forts et destinés à durer.

« Navigant avec talent entre histoire et fiction, nuit et lumière, avec une plume qui varie d’un continent à l’autre, d’une société à une autre, d’une génération à la suivante, Yaa Gyasi écrit le destin de l’individu pris dans les mouvements destructeurs du temps, offrant une galerie de personnages aux fortes personnalités dont les vies ont été façonnées par la loi du destin. »

Quoi de plus juste pour résumer ce chef d’oeuvre qu’est No Home ? Merci sincèrement à Calmann-lévy d’offrir à la France la possibilité de le découvrir et je ne le recommanderai jamais assez, indéniablement ce livre se doit d’être lu ! Nous pouvons lire autant de livres que nous voudrons sur l’esclavage, jamais ce ne sera assez pour peser dans la balance face à tant de souffrance et d’injustices. La loi du destin se mêle ici à celle de l’homme se pensant supérieur et vient briser des vies qui auraient pu être plus confortables. Bien entendu, avec des « si » on change tout et l’arbre généalogique se retrouve alors totalement modifié. L’histoire du Ghana, que je connaissais bien mal m’est apparu ici dans ces destins en alternance et je n’en suis ressortie que plus fascinée encore. No home est un livre qu’on prend le temps de lire, d’analyser, de méditer, de comprendre. Ce n’est pas un simple roman, ni un témoignage, ni un livre historique. C’est le fabuleux destin de deux descendances aux travers de 3 siècles d’Histoire avec pour fil conducteur un collier si précieux et si important.

Quant à la plume de Yaa Gyasi, je n’ai pas grand chose à en dire si ce n’est qu’elle est fabuleuse et que comme déjà évoquée plus haut elle a un talent de conteuse juste incroyable. Une bonne conteuse, pour moi, vous attrape dès le début de son histoire pour ne plus vous relâcher avant l’issue où les pièces du puzzle s’assemblent… ou pas. A vous de le découvrir.

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Yaa Gyasi réussit l’exploit de donner la parole à ces oubliés de l’Histoire et rend hommage, par conséquent aux hommes et femmes ayant vécu ces 3 derniers siècles. Balayant 300 ans d’histoire, du Ghana aux Etats-Unis, c’est une fresque familiale fascinante et éblouissante que nous offre l’auteur. A lire absolument, chaque personnage saura toucher un point sensible, c’est certain.

« La famille est comme la forêt : si tu es dehors, elle est dense ; si tu es dedans, tu vois chaque arbre à sa place ».
Proverbe akan, en ouverture du roman.

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CITATIONS

« Tu veux savoir ce qu’est la faiblesse? C’est de traiter quelqu’un comme s’il t’appartenait. La force est de savoir qu’il n’appartient qu’à lui-même. »

***

« Les hommes blancs ont le choix. Ils peuvent choisir leur travail, choisir leur maison. Ils font des bébés noirs, puis ils s’évaporent comme s’ils n’avaient jamais été là, comme si toutes ces femmes noires avec lesquelles ils avaient couché ou qu’ils avaient violées, elles étaient tombées enceintes toutes seules. Les hommes blancs peuvent aussi décider pour les Noirs. Ils les vendaient autrefois ; maintenant ils les envoient juste en prison, comme ils ont fait avec mon papa, et les privent de leurs enfants. »

***

« Tu n’es pas la première fille de ta mère. Il y en a eu une autre avant toi. Et dans mon village, il y a un dicton sur les sœurs séparées. Elles sont comme une femme et son reflet, condamnées à rester sur les rives opposées de l’étang ».

« H grommela. « Quand un homme blanc a jamais écouté un homme noir?

– Je suis ici en ce moment, il me semble. Et j’écoute, répliqua l’autre.

– T’es un ancien prisonnier.

– Toi aussi. »

H regarda autour de lui. Il y avait là une cinquantaine d’hommes, dont plus de la moitié étaient noirs.

« Qu’est ce que tu as fait de mal? » demanda H, soutenant le regard du Blanc.

L’homme refusa de parler au début. Il gardait la tête baissée et se raclait la gorge sans arrêt, au point que H se demanda s’il avait quelque chose dans la bouche. Les mots finirent par sortir.

« J’ai tué un homme.

-Tué un homme, hein? Tu sais pourquoi ils ont coffré mon ami Joecy? Il n’a pas changé de trottoir quand une femme blanche est passée près de lui. Pour ça, il a écopé de neuf ans. Pour avoir tué un homme, tu as eu pareil. On était pas des prisonniers comme toi. »

25 réflexions sur “[Chronique] No Home de Yaa Gyasi

  1. Vampilou fait son Cinéma dit :

    Une fois de plus, je suis sous le charme de ta superbe chronique ma belle, tu as réussi à m’intéresser avec ce roman qui n’était à priori, pas du tout pour moi !

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  2. Julia dit :

    Je suis plongée dedans, et j’adore! Ta chronique me fait l’aimer encore plus, merci! 🙂
    Je ne comprends pas le parti-pris de la traduction du titre, qui en version originale est « Homegoing », tout le contraire de celui de la VF, même si je partage ton avis sur le déracinement.

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  3. Nom d'un bouquin! dit :

    Au fait, je débarque un peu après la guerre, mais j’avais découvert le roman grâce à ton article et je l’avais lu quasi dans la foulée. Je l’ai énormément aimé, et depuis que je bosse en librairie je le vend presque a tour de bras haha du coup je voulais te remercier pour cette belle découverte 😀

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