[Chronique] Pour que tu sois mienne de Sara Farizan

pourquetusoismienne

Publié aux éditions Milady – (poche) – 20 janvier 2017 – 286 pages
Merci à Milady pour cette lecture

resume

« On est comme ça, ici. On sourit et on ne s’en fait pas. Ça flambe dans les rues, On sourit et on ne s’en fait pas. On voit des cadavres se balancer au bout d’une corde en plein square ? On sourit et on ne s’en fait pas. On ne peut pas être avec la personne qu’on aime parce que c’est contre la loi ? On sourit, bon sang. »

Sahar est amoureuse de sa meilleure amie, Nasrin, depuis toujours. Pour combler le fossé social qui les sépare, elle travaille dur dans l’espoir de devenir médecin. Le reste du temps, elle prend soin de son père, qui s’est muré dans le silence depuis qu’il a perdu sa femme. Lorsque Sahar apprend les fiançailles de Nasrin, son rêve s’effondre. La cérémonie aura lieu dans trois semaines mois. Sauf si elle trouve un moyen d’empêcher ce mariage…
Mais dans un pays où l’homosexualité est punie par la peine de mort, si elle veut s’unir à une femme, elle n’a d’autre choix que de devenir un homme. Encore faut-il pour cela qu’elle accepte de se faire « réparer », comme ils disent, et qu’elle entame la métamorphose sans laquelle son union serait jugée contre nature.

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Aujourd’hui je vous présente un livre précieux. Vous savez, ce n’est pas un livre qui vaut cher en soi, mais qui véhicule de choses tellement puissantes qu’il en prend une valeur considérable. Il nous entraine au cœur d’une histoire si belle, celle d’un amour inconditionnel, mais interdit, et on le referme les larmes aux yeux et avec mille questions sur le bout des lèvres. Un livre plus que jamais d’actualité bien entendu et qui, au-delà de l’amour entre deux femmes, va également se pencher sur la société iranienne et plus particulièrement sur le droit des femmes. Vous voyez, il ne peut être que précieux. En tout cas, j’ai adoré ce livre et me suis beaucoup attachée à Sahar, l’admirant pour son courage et cela en dépit d’une naïveté touchante. Regardons ensemble de plus près ce que ce livre à pour vous entre ses lignes. En tout cas, quand je lis qu’il est décrit comme « Un roman d’amour bouleversant qui interroge les paradoxes de la société iranienne » je ne peux qu’approuver. Et quand Publishers Weekly dit que c’est « un premier roman d’une puissance rare » je ne peux qu’acquiescer. Oui New York Times, les mots de Sara Farizan « résonnent longtemps » et oui Booklist, Sara nous offre « Une plongée fascinante dans la clandestinité, au sein de la communauté LGBT en Iran ».
Note : si vous ignorez la définition de LGBT, sachez qu’il s’agit tout simplement du sigle pour Lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres. D’autres lettres ou un signe + peuvent s’y accoler, car la communauté n’est pas restreinte ni fermée.

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D’aussi loin qu’elle s’en souvienne, Sahar a toujours aimé Nasrin. Cela remonte à l’enfance, elles avaient 6 ans. Nasrin et Sahar sont très différentes, mais complémentaires, complices, inséparables. Mais elles vivent à Téhéran et là-bas, l’homosexualité est illégale. Si elles affichent leurs sentiments en public, c’est la peine de mort qu’elles risquent. Alors les jeunes filles se voient souvent, et s’aiment en secret. Elles ne se posent pas vraiment la question d’être homosexuelles ou non, c’est au-delà de se définir, elles s’aiment et c’est tout ce qui compte. L’amour, le vrai, celui qu’on voudrait garder toute sa vie. À 17 ans, il est encore temps de glaner des instants précieux et de jouir du peu d’insouciance qu’il leur reste. Bientôt, elles seront en âge de se marier et de fonder un foyer. La vie des femmes est réglée comme cela là-bas. Pour Sahar, les choses sont un peu différentes. Fille unique, elle veille sur son père qui n’est plus vraiment lui depuis la mort de sa femme, la mère de la jeune fille. Mais elle se bat dur pour lui et pour garder un esprit familial. Et surtout elle étudie beaucoup pour devenir médecin et combler le fossé social qui existe entre elle et Nasrin.

« Qu’est-ce qui ne va pas, Sahar djoun ? » Elle a toujours su lire en moi, même malgré elle.
« J’aimerais qu’on puisse rester toujours dans cette chambre. »
Elle sourit. « L’air frais ne te manquerait pas ? Le soleil sur ton visage ?
– Et la police morale qui se plaint que mon foulard n’est pas mis correctement ? »

Car oui en Iran les femmes se doivent d’être voilées et couvertes. Une scène d’ailleurs nous le rappellera et nous nous demanderons de quoi est fait ce pays pour être empli de tant de contrastes. Si l’homosexualité y est prohibée il n’en est rien du changement de sexe, que le gouvernement qualifie de « réparation » et qui est donc totalement financé. Alors que Sahar pense à l’avenir et à une solution pour s’aimer librement, se marier, fuir, vivre leur vie, Nasrin, elle, vit dans le moment présent ce qu’elles ont. Mais quand il est annoncé que Nasrin va se marier, le ciel tombe sur la tête de Sahar qui voit tous ses rêves s’envoler, son amour partir en fumée. Les raisons qui poussent Nasrin à accepter le mariage lui sont bien personnelles et il sera très difficile d’en juger. Nous sommes dans un pays où les mariages d’amour ne prédominent pas et où les choix sont bien souvent faits pour vous. Sahar va alors devoir dénicher une solution pour garder l’amour de sa vie, et cette solution, elle va devoir la trouver vite, très vite car le mariage aura lieu dans trois mois. Entrer dans la communauté LGBT ne sera pas un problème pour Sahar puisque son cousin en est un peu le prince. Mais Sahar pénètre ici dans un monde qu’elle ne connait pas… Y trouvera-t-elle vraiment la solution pour sauver son amour ?

En accompagnant Sahar dans son cheminent, sa quête identitaire quelque part aussi, nous allons comprendre les tabous et secrets d’un pays qui fait tout pour bien les conserver. Ainsi, comme nous le dit l’éditeur, Pour que tu sois mienne est « Un livre-choc sur un des secrets les mieux gardés de l’Iran. Dans un pays où l’homosexualité est condamnée par la peine de mort et où la police d’État livre une traque impitoyable à tout ce qui paraît contre nature, le gouvernement finance en partie les « réparations », c’est-à-dire les opérations de changement de sexe qui permettent de sauver les apparences. »Les apparences prédominent donc sur les sentiments et la construction identitaire. Vous êtes une femme et aimez une femme, c’est interdit. Demandez à devenir homme, c’est offert et vous aurez le droit de la revendiquer. Or, nous savons tous qu’une femme aimant une femme ne se sent pas forcément mal dans son corps, dans son sexe. Sahar va se confronter à la communauté transsexuelle, mais va devoir s’interroger sur qui elle est, ce qu’elle ressent, car un retour en arrière ne sera pas envisageable. Et puis d’autres questions se posent : Nasrin apprécierait-elle ce changement ? Aimerait-elle Sahar devenu homme ? Ce sont toutes autant de questions que le lecteur va découvrir au fil des pages avec Sahar avec une grande émotion ou parfois un sentiment de révolte ou encore de frustration. Un long chemin qui pourtant ne peut pas durer plus de trois mois, une quête qui aboutira au rêve ou au cauchemar, voilà l’enjeu pour Sahar.

Nos deux personnages principaux sont parfaitement construits. Si Sahar nous apparait comme la plus intelligente et moins frivole des deux, Nasrin n’en est pas pour autant stupide. Elle se moque des lois et vit de manière plus insouciante, aime luxe et volupté quand Sahar, elle, se contente de choses simples. Au niveau de leurs caractères, elles sont complémentaires et lisent en l’autre en un clin d’œil. Difficile pour elle de se cacher des choses, à moins de fuir et de s’isoler. Quant à leurs familles, que dire ? Le père de Sahar est un homme bon, mais ne voit rien, trop enfoncé dans son perpétuel deuil. La famille de Nasrin est différente, sa mère plus manipulatrice, mais elle aime sa fille et fera tout pour la protéger. Pour elle, le mariage est l’avenir même de sa fille. Toutefois, et en dépit des traditions bien trop conservatrices pour nos deux jeunes femmes, ces dernières aiment leurs Terres et se sentent à leur place. Fuir, pourquoi pas, mais pour aller où ? Vivre clandestinement toute sa vie ? Avoir peur ? Nasrin et Sahar ont eu cette chance de grandir dans un milieu confortable, surtout Nasrin, peut-on renoncer à tout par amour ? Et jusqu’où iraient-elles sans escorte masculine ? Quant au personnage du futur mari, Sara Farizan a su déjouer les clichés habituels et nous proposer un homme bon et honorable, beau et intelligent et surtout très respectueux de sa future épouse. Il nous surprendra même par certaines de ses actions, le tout rendant difficile la condamnation d’un mariage à venir.

« Je suis tellement absorbée par Nasrin que je ne vois pas arriver la voiture de police. Deux hommes en uniforme en sortent et se dirigent droit sur elle. 
« Est-ce que tu as une raison pour exhiber tes coudes comme ça ?  » demande le premier, et je sens mon coeur s’arrêter. Ce n’est pas la première fois que j’assiste à une confrontation de ce genre. Je ne veux pas qu’ils lui fassent de mal. […] Ce que je ne comprends pas chez Nasrin, c’est qu’elle se soucie si peu des conséquences de ses actes. »

Et puis comme la 4e de couverture le laisse entendre, nous allons nous retrouver confrontés à la problématique du changement de sexe, ses conditions et conséquences. Même si le pays appelle cela de la « réparation », il fait en sorte de s’assurer que c’est bel et bien ce qu’ils entendent. Pour être opéré, il faut être en mesure de prouver qu’on se sent enfermé dans un mauvais corps. Il faut être prêt à endurer la torture que cela implique « Cette opération dont nous parlons, c’est un supplice. Votre amie assise là peut en témoigner. […] Vous vous rappelez les souffrances que vous avez traversées ? Nous avons découpé votre corps, ensuite nous vous avons recousu, et la semaine qui a suivi l’intervention, quelle épreuve… Est-ce que vous souhaiteriez cela à votre pire ennemi? » La question fondamentale qui va alors venir se poser pour Sahar est « jusqu’où est-elle prête à aller par amour » et si bien entendu cet amour en vaut la peine. Une question à laquelle elle seule peut trouver la réponse, en même temps qu’elle peut se trouver elle-même. Mais surtout, irait-elle jusqu’à changer de corps ?

« Le mollah leur avait assuré qu’ils n’avaient pas à avoir honte de leur maladie, et que transformer la farine en pain n’était pas un péché- tout comme pour un homme de devenir une femme. « D’après la République islamique d’Iran, il n’y a rien dans le Coran qui dise qu’il est immoral de changer de genre ». […]J’ai le sentiment que personne ici n’a jamais posé la question de l’homosexualité. « Tu es sûre d’avoir l’impression d’être enfermée dans le mauvais corps? » « 

Pour que tu sois mienne restera dans mon esprit et dans mon cœur longtemps. L’écriture prodigieuse de Sara Farizan, qui jamais n’en fait trop, nous emporte en un clin d’œil dans ce pays fait de paradoxes et de censures, d’apparences et de coutumes qui ont pour rôle de préserver une image, toujours. Qu’importe l’amour, les sentiments vrais, si le pays juge qu’il sont « contre nature » alors ils deviennent illégaux. Même si nous vivons dans un pays où l’homosexualité est légale (et encore heureux), n’oubliez pas pour autant ce à quoi les homosexuels, bisexuels, transgenres, etc. doivent faire face chaque jour. Hier encore on me parlait d’une femme rejetée d’une sortie scolaire, car étant homosexuelle et juste la compagne de la maman… N’est-ce pas honteux ? Ouvertement. Pour que tu sois mienne nous rapporte à cela, à ce combat LGBT qui est loin d’être terminé et remporté. Au-delà de l’acceptation de l’orientation sexuelle, c’est le droit d’aimer tout simplement que nous devons défendre. Pour Nasrin et Sahar qui ne demandent que cette liberté fondamentale. Pour qu’aucune religion ou morale ne viennent condamner un amour pur et précieux. Vous l’aurez compris, je vous recommande vivement ce roman. Si l’auteur m’a surprise tout du long par les chemins et détours empruntés, ce ne fut que pour mieux me faire succomber. Ainsi, je ne peux vous en dire plus sur les personnages que nous allons rencontrer, car certains sont déterminants dans toute cette histoire et je m’y suis grandement attaché également. Enfin, notez que j’ai refermé ce roman les larmes aux yeux et le cœur serré. C’est une histoire bouleversante qui nous donne envie de nous révolter contre l’injustice que vivent nos deux amies. Intense, puissant et choc.

 » « Mais n’est-ce pas merveilleux, de vivre en Iran ? la console Parveen. Dans un pays où le gouvernement reconnaît ta lutte ? Sais-tu qu’il y a des endroits en Occident où jamais le gouvernement ne financerait l’opération ? » Au cours de la dernière réunion, Goli khanoum nous a appris que l’Iran est le deuxième pays pour le nombre d’opérations de changement de sexe, derrière la Thaïlande. « 

enbref

Sara Farnizan nous offre un roman puissant sur un pays aux multiples paradoxes. Alors que Nasrin va se marier, Sahar, qui l’aime depuis toujours, va partir en quête d’une solution offrant aux deux jeunes femmes la liberté de s’aimer légalement. Dans son cheminement, elle se trouvera elle-même et devra faire preuve de beaucoup de courage. Son amour lui donnera-t-il la force d’aller jusqu’à changer de corps ? Est-ce la solution ? Un récit brillant et touchant, plein d’émotions.

MANOTE

19/20

(et oui 19 mais coup de coeur quand même)

5flamantscoupcoeur

20 réflexions sur “[Chronique] Pour que tu sois mienne de Sara Farizan

  1. Plume de Soie dit :

    Merci pour cette chronique =) L’Iran, comme la Corée du Nord, est un pays qui me fascine (nan, chu pas morbide…) depuis que le film « Persepolis » me l’a fait découvrir. Moi aussi je trouve que c’est un pays plein de contrastes, comme tu le soulignes dans ta chronique, au destin fascinant.
    Merci pour cette découverte, +1 à ma wishlist, et je pense l’offrir à ma mère également.

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    • Carnet Parisien dit :

      J’aime toujours beaucoup ton analyse des romans. Là où je me contente de donner mon avis sur ce que j’ai ressenti, tu vas toujours plus loin en parlant des personnages et de l’histoire, avec toujours beaucoup de justesse et de sensibilité.
      Maintenant que j’ai terminé le roman et écrit ma chronique, je reviens lire la tienne et je voulais te dir que je me retrouve beaucoup dans ce que tu dis. Tu as totalement raison quand tu parles du poids des traditions, de l’importance des apparences, et aussi parfois du paradoxe de ce gouvernement qui finance les opérations mais refuse l’homosexualité… je n’en ai pas parlé dans ma chronique mais tu fais bien de le souligner. Comme toi, j’ai adoré ce roman. Je le savais déjà avant de l’ouvrir. ❤

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  2. La route des lecteurs dit :

    Elle est parfaite ta chronique ❤
    Je ne savais pas encore si j’allais lire ce livre (je n’avais même pas lu le résumé). Maintenant que j’ai lu ta chronique et que je connais le sujet, tu penses bien que je veux le découvrir !
    Je l’ajoute tout de suite dans ma wish-list 🙂

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