[Chronique] La voix des vagues de Jackie Copleton

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Publié aux éditions Les Escales – octobre 2016 – 357 pages

Merci aux éditions Les Escales pour cette lecture

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Lorsqu’un homme horriblement défiguré frappe à la porte d’Amaterasu Takahashi et qu’il prétend être son petit-fils disparu depuis des années, Amaterasu est bouleversée. Elle aimerait tellement le croire, mais comment savoir s’il dit la vérité ?

Ce qu’elle sait c’est que sa fille et son petit-fils sont forcément morts le 9 août 1945, le jour où les Américains ont bombardé Nagasaki ; elle sait aussi qu’elle a fouillé sa ville en ruine à la recherche des siens pendant des semaines. Avec l’arrivée de cet homme, Amaterasu doit se replonger dans un passé douloureux dominé par le chagrin, la perte et le remord.

Elle qui a quitté son pays natal, le Japon, pour les États-Unis se remémore ce qu’elle a voulu oublier : son pays, sa jeunesse et sa relation compliquée avec sa fille. L’apparition de l’étranger sort Amaterasu de sa mélancolie et ouvre une boîte de Pandore d’où s’échappent les souvenirs qu’elle a laissé derrière elle …

Roman à la beauté poignante, La Vois des vagues explore le chagrin, la douleur et le remords, l’ombre tragique des secrets de famille, et nous entraine dans le Nagasaki d’avant guerre.

blablaAvant de me lancer dans cette chronique, permettez-moi chers flamants de vous raconter un petit peu ma vie. Le Japon est un pays qui résonne en moi de manière toute particulière. Depuis plus de 10 ans, je suis fascinée par la culture japonaise, ses traditions et aussi sa modernité. Le Japon est un pays que je rêve de visiter depuis toujours, mais, avouons-le c’est un budget conséquent. Toutefois, je ne perds pas l’espoir d’y aller un jour. J’ai même tenté à une époque d’apprendre la langue, mais je dois reconnaitre que j’éprouvais certaines difficultés à maitriser les kanjis. Si les deux alphabets de base se mémorisent sans peine, il n’en est rien des mots-concepts dirons nous. Donc, quand j’ai vu que ce livre sortait, ce fut pour moi une évidence de le lire. Que savais-je sur Nagasaki si ce n’est ce qu’on apprend à l’école ? L’homme défiguré pouvait-il vraiment être le petit fils de cette femme désormais résidente des États-Unis ? Et quels secrets pouvaient donc contenir ces lettres ? Amaterasu semble détenir les clés d’une boite à souvenir dévastatrice ? Qu’allons-nous découvrir à ses côtés ? Voilà ce qui m’a donné envie de lire ce livre, savoir que cette femme, loin du Japon allait devoir se replonger dans la partie la plus sombre de son histoire, dans les années dévastées par la Seconde Guerre mondiale, période que j’aime découvrir au travers des livres, car tellement fondatrice de notre Histoire. Si ce drame vous est sorti de la tête, prenez le temps de regarder quelques images sur le net. Enfin, n’oubliez pas que vous pouvez rejoindre le Club de Lecture Les Escales sur Facebook. Ce week-end, c’est justement La Voix des vagues qui sera au programme.

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La voix de vagues
Qui se dressent devant moi
N’est pas aussi forte
Que mes sanglots,
D’avoir été abandonné.
Poème japonais vieux de mille ans. (Ouverture du livre)

La Voix des vagues est un roman écrit à la première personne, donnant ainsi la parole à notre héroïne Amaterasu Takahashi, qui depuis longtemps vit aux États-Unis. Chaque chapitre s’ouvre sur une notion, un mot japonais qui nous est défini, tel un dictionnaire. Ce mot-concept va s’incarner par tout un tas de mots et de phrases dans notre langue vu que nous n’en avons pas vraiment l’équivalent. Ainsi, à chaque chapitre nous sommes véritablement plongé dans la culture japonaise, ses valeurs et fondements. Le roman commence quand Amaterasu nous décrit l’homme qui se tient sur le seuil de sa porte. Défiguré, des cicatrices impossibles à dissimuler, et ce même dans la pénombre. Bien sûr, Amaterasu en a vu des bien pires, des plus fraiches, mais reconnaissables entre mille. L’homme prétend s’appeler Hideo. Hideo, ce petit fils mort le 9 août 1945, lors de l’explosion de la bombe. Amaterasu refuse d’y croire : ce jour-là sa fille et son petit fils sont morts. Il ne peut donc pas se tenir devant elle. Pourtant, l’homme l’affirme. Même s’il ne garde aucun souvenir d’avant la bombe, il est bien décidé à lui prouver son identité et célébrer leurs retrouvailles. Lui remettant des lettres, la vieille femme ne va avoir d’autres choix que de remonter dans le passé et nous raconter ce qu’elle a alors vécu ce jour-là. Mais aussi d’aller plus loin en arrière, de nous expliquer pourquoi elle a fui le pays, pourquoi elle vit avec un horrible sentiment de culpabilité. Des regrets douloureux, des remords saisissants et un passé aux clés bien mystérieuses. Amaterasu va nous entrainer sur les pistes de sa jeunesse, puis de sa vie d’épouse et mère de famille, nous livrant les secrets de famille et les rancœurs les plus sombres.

« J’eus l’impression que le coeur du monde venait d’exploser ».

« Il n’existe pas de mot pour ce que nous avons entendu ce jour-là. Il ne doit jamais y en avoir. Donner un nom à ce son risquerait de signifier qu’il pourrait se reproduire. Quel terme serait à même de capturer les rugissements de tous les orages jamais entendus, tous les volcans, tsunamis et avalanches jamais vus en train de déchirer la terre et d’engloutir toutes les villes sous les flammes, les vagues, les vents? Ne trouvez jamais les termes adéquats capables de décrire une telle horreur de bruit ni le silence qui s’était ensuivi. »

Imaginons-nous quelques instants à la place de notre vieille dame japonaise. Vous avez connu le pire drame possible et fui votre pays pour vous reconstruire. Mais, quand une telle horreur se produit, il semble évident qu’elle vous poursuivra où que vous soyez. Hantée par sa fille et son petit fils, pétrie par les regrets, Amaterasu souhaitait enfermer à jamais certains secrets. Des choses qu’une seule personne connaissait, et voilà qu’aujourd’hui un homme se revendique comme étant de sa famille et lui ramène un fantôme qu’elle voulait oublier. Le contexte est posé. Amaterasu, âgée, blessée par les années, usée par le poids des secrets va devoir se replonger dans son histoire si elle désire comprendre et saisir la nouvelle chance qui lui est offerte aujourd’hui : Hideo. Pourquoi maintenant seulement ? Pourquoi. De nombreuses questions que nous allons voir soulevées et résolues avec la plus brillante des émotions page après page. L’auteure ne nous bloquera pas au cœur de l’horreur du 9 août, mais nous permettra d’explorer le Nagasaki d’avant auprès de la jeune Amaterasu. Elle nous laissera flâner auprès de Yuko, la fille d’Ama, dans un Nagasaki en guerre, mais pas encore détruit. Elle nous plongera au cœur d’une histoire d’amour brûlante et interdite. Et puis elle nous offrira l’occasion de cheminer à travers tout cela, comprendre, entendre la peine, peser le poids de la souffrance de la vieille femme. Mais les regrets ont-ils toujours lieu d’être alors qu’une seconde chance lui est offerte et cet homme veut se battre pour le lui prouver ?

« Je me disais que je ne devais pas m’attarder trop longuement sur les erreurs que j’avais commises, celles qui avaient conduit Yuko dans la zone de mort de la ville. Sinon, me raisonnais-je, comment trouverais-je la force de me lever le matin et d’affronter une nouvelle journée ? Sinon, comment saurais-je supporter les années qui s’écoulaient comme au goutte à goutte, l’une après l’autre, bien trop lentement ? Moi, la dernière qui restait, c’était en tout cas ma conviction, jusqu’à ce matin d’hiver ». 

Touchante, émouvante, l’histoire écrite par Jackie Copleton rend hommage au pays comme à sa culture. Avec une véritable authenticité culturelle, la plume part à l’exploration d’une île qui va bientôt connaitre l’horreur. La beauté des mots parvient ici à créer un livre impossible à lâcher tant l’histoire devient prenante, fascinante. Désireux de tout comprendre, le lecteur va avancer aux côtés de l’héroïne. Au fur et à mesure qu’elle ouvre les lettres qui lui sont remises par cet homme qui prétend être Hideo, la Japonaise va accéder à des sentiments dont elle ignorait tout. Elle va nous dévoiler sa plus grande erreur, celle qui la rattrape chaque jour qui passe. Elle nous parlera avec tendresse des moments passés avec Hideo, avec nostalgie de Yuko, avec d’énormes regrets aussi. Mais l’histoire ne saurait être toute noire ou toute blanche, et l’univers même d’Amaterasu s’avèrera composé de nuances de gris complexes. Si elle veut saisir sa chance, elle devra définitivement enterrer les fantômes du passé et jouir du vivant. Abandonner sa solitude pour profiter des mains tendues. En est-elle encore capable ?

L’auteure, dotée d’une plume incroyable (et que nous espérons retrouver dans d’autres romans) construit des personnages à la psychologie habilement fouillée. Même si Amaterasu est celle qui nous raconte l’histoire, elle sait mettre les mots sur chaque intervenant. De plus, le récit est enrichi de lettres d’une personne dont je ne peux vous révéler l’identité ici et des journaux de Yuko, sa fille. De manière naturelle et fluide, nous saisissons les enjeux, les émotions et les sentiments des trois personnages qui auraient pu tout changer ou qui ont tout simplement tout changé. Les mots se font justes, parfois rudes, mais toujours dans une quête de vérité, d’authenticité. Le récit est richement documenté et nous ne sommes pas étonnées d’apprendre que l’auteure a vécu à Nagasaki. Parce qu’au-delà d’une merveilleuse histoire incarnée par des personnages subtils et délicatement sculptés, dessinés, Jackie Copleton offre un véritable hommage au pays et sa culture, sa beauté. Une perle dans l’huitre, vous comprendrez en lisant le roman.

L’émotion contenue dans le roman est remarquable. Elle vient nous caresser à la moindre occasion et nous serre le cœur à de nombreuses occasions. Les choix que l’on fait dans le passé s’avèrent parfois difficiles à juger et même si Amaterasu porte le poids d’une culpabilité immense, il devient impossible pour le lecteur de porter un jugement négatif sur cette femme. Pour comprendre les décisions d’une personne, il faut savoir qui elle est, mais surtout qui elle a été. Et c’est véritablement ce qu’elle va nous offrir dans ce cheminent historique douloureux. Le roman bénéficie d’une construction solide, magnifique. Les voyages dans le temps sont parfaitement mis en place, nous situons toujours le contexte en quelques instants et nous voyageons au-delà des mots que l’auteure prête à notre amie japonaise. Subtiles, les images culturelles nous entourent et nous portent, nous permettant d’accéder à une plus grande compréhension des personnages, des choix, des contextes. Cette fresque familiale, douce et acérée à la fois, nous offre bien entendu son lot de secrets, mais les révélations ne surviennent jamais de manière importune ni quand vous vous y attendez. Tout s’avère merveilleusement orchestré, posé avec la douceur d’un raffinement à la Japonaise.

Au-delà de l’immersion dans une culture et une famille touchée par un drame, Jackie Copleton offre au lecteur une véritable réflexion sur ses propres choix et conséquences. Comment prenons-nous nos décisions ? Sommes-nous certains d’avoir pris en compte l’ensemble des paramètres ? Nous réfléchissons aussi sur cette guerre et les dégâts de cette bombe, nous plongeons par moment dans l’horreur et les mots sont tellement saisissants (bravo aussi traducteur Freddy Michalaski) qu’il nous suffit de fermer les yeux quelques instants pour nous retrouver au cœur de la scène. Véritable œuvre sur la culpabilité et les remords, les mots de l’auteure nous restent en tête et permettent de penser à nos propres erreurs sans tomber dans l’excès. Si les secrets de famille font partie de votre vie, plus que jamais vous comprendrez Amaterasu, mais aussi une autre personne du roman que vous rencontrerez, que vous détesterez ou aimerez, vous changerez peut-être d’avis, enfin irez-vous peut-être vers l’assimilation, l’acceptation et déciderez-vous de tourner une lourde page. Toujours est-il que ce récit brille par son intelligence et sa beauté, sa grâce et ses émotions.

« Tu es la perle dans la coquille de mon coeur ». 

enbref

La Voix des vagues offre une immersion au cœur de la culture japonaise et de ses concepts de vie. Partant du drame le plus connu du pays, l’auteure nous entraine au fil des souvenirs d’une femme blessée par le passé et ses choix. Parfaitement orchestré, le roman, riche en émotions délicates, nous livre romantisme et absolution. Une plume majestueuse que l’on remercie pour ces rencontres incroyables et cette fresque familiale stupéfiante. Une perle.

MANOTE

19/20

5flamants

N. B. Dans l’ouvrage, vous verrez que l’auteure utilise le terme de Pikadon et que le traducteur l’a judicieusement conservé. Pourtant si vous tapez ce mot dans Google, vous constaterez la pauvreté des résultats en français pertinents. Pour faire court, le mot PIKADON se compose des mots PIKA qui signifie lumière brillante et DON qui signifie « boom ». Pikadon représente donc ce qui a été vu et entendu au moment de l’explosion. (Ceux qui étaient plus loin parleront seulement de Pika, la lumière). Sachez que si vous entendez ou lisez le terme de HIBAKUSHA, alors il est fait référence aux survivants de la bombe.

 

13 réflexions sur “[Chronique] La voix des vagues de Jackie Copleton

  1. Junko dit :

    Tu as écrit là une très belle chronique. Comme pour toi, j’espère retrouver cette plume majestueuse dans le prochain roman de l’auteure. J’ai adoré ce roman ! Merci pour cette info sur les termes Pikadon et Hibakusha, je ne le savais pas ! Je pense en tout cas que ce livre restera longtemps dans nos mémoires 🙂

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  2. Carnet Parisien dit :

    J’ai très peur de me plonger dans cette lecture car, contrairement à toi, je suis totalement hermétique à la culture asiatique (ne me demande pas pourquoi, je n’en sais rien, mais c’est un fait). J’espère que l’aspect historique prendra le dessus dans ma lecture et que je saurai faire abstraction de ce qui pourrait me gêner…

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