[Chronique] Songe à la douceur de Clémentine Beauvais

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Publié aux éditions Sarbacane – Août 2016 – 240 pages

resumeQuand Tatiana rencontre Eugène, elle a 14 ans, il en a 17 ; c’est l’été, et il n’a rien d’autre à faire que de lui parler. Il est sûr de lui, charmant, et plein d’ennui, et elle timide, idéaliste et romantique. Inévitablement, elle tombe amoureuse de lui, et lui, semblerait-il… aussi. Alors elle lui écrit une lettre ; il la rejette, pour de mauvaises raisons peut-être. Et puis un drame les sépare pour de bon. Dix ans plus tard, ils se retrouvent par hasard. Tatiana s’est affirmée, elle est mûre et confiante ; Eugène s’aperçoit, maintenant, qu’il la lui faut absolument. Mais est-ce qu’elle veut encore de lui ? Songe à la douceur , c’est l’histoire de ces deux histoires d’un amour absolu et déphasé – l’un adolescent, l’autre jeune adulte – et de ce que dix ans à ce moment-là d’une vie peuvent changer. Une double histoire d’amour inspirée des deux Eugène Onéguine de Pouchkine et de Tchaikovsky – et donc écrite en vers, pour en garder la poésie.

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Il m’a fallu un peu de temps pour vous parler de ce roman. Du temps pour intégrer ce diamant. Une histoire tout en vers, qui m’a mis la tête l’envers. Je ne suis pas poète, mais d’admiration je deviens muette. L’auteur a conquis mon cœur. Eugene et Tatiana, on s’en souviendra. Songe à la douceur apporte une belle lueur. Lueur d’admiration, d’amour et de fascination. Une histoire d’amour dont on voit les contours. Un destin dont nous pourrions bien faire notre festin. Arrêtons d’écrire des rimes honteuses et foireuses, attelons-nous à la tâche de la chronique sérieuse.

Pardonnez-moi mon égarement très mauvais ci-dessus. Je n’ai jamais maîtrisé les codes de la poésie, des vers, des alexandrins et compagnie. Mais, nul besoin de cela pour apprécier le bijou littéraire et atypique qu’est Songe à la Douceur. Si vous aimez ce que j’appelle les « OVNI » littéraire (ou plus simplement les OLNIS), vous devriez succomber au charme de la plume de Clémentine Beauvais et à son indéniable talent pour nous conter une histoire somme toute banale, mais qui s’inspire des deux Eugène Onéguine, celui de Pouchkine et de Tchaikovsy. Minute culturelle wikipédienne  :

Eugène Onéguine, roman en vers a été composé par Pouchkine sur une petite dizaine d’années, de 1823 à 1831. L’œuvre paraît d’abord par chapitre à partir de février 1825 jusqu’en janvier 1832. La seconde parution complète des huit chapitres a lieu en mars 1833, puis une troisième édition en janvier 1837, un mois avant le duel fatal de Pouchkine. Le roman se compose de 5 523 tétramètres iambiques. (En poésie, un tétramètre est un vers de quatre pieds, très usité dans la poésie anglaise, en particulier.)

Eugène Onéguine  est un opéra en trois actes et 7 tableaux composé par  Tchaïkovski entre juin 1877 et janvier 1878, basé sur Eugène Onéguine, roman en vers d’Alexandre Pouchkine.

Interlude culturel achevé, passons à la suite. Lire un roman en vers m’apparaissait d’abord une drôle d’idée. Mais je déteste rester sur des préjugés et rien que le titre incarnait l’appel à craquer. Une fois le craquage fait, le livre fut dévoré en un instant. Quel bijou, quelle merveille ! Une mise en page fascinante, innovante et inédite dans ma bibliothèque en tout cas, mettant en valeur les mots, l’histoire, les pensées, les sentiments, les émotions, les actions, les personnages. En soi, l’histoire d’amour s’avère presque « banale ». Deux adolescents qui ne partagent alors pas vraiment les mêmes sentiments, une jeune fille rejetée et blessée, un jeune homme déjà blasé de la vie et qui pense en avoir fait le tour. Un drame les sépare, ils ne se reverront alors jamais. Jusqu’à ce jour, où le hasard, le destin, le fil de la vie les fait se rencontrer de nouveau. Pour Tatiana, qui a toujours songé à Eugène, c’est un coup dur au cœur. Pour Eugène, qui n’a pensé que très peu à Tatiana ces 10 dernières années, c’est un coup moqueur ! Voilà qu’il se demande s’il n’aurait pas raté quelque chose, laissé passer une chance avec cette femme qui le fascine. Mais Tatiana voudra-t-elle encore de lui, dix ans plus tard ? Bien loin de la maison verdoyante de leur été et du drame de cette année là, loin de sa personnalité de l’époque, et bien occupée avec des études prenantes et au succès fulgurant ? L’histoire nous le dira. Quoi qu’il en soit, Eugène et Tatiana ont quelque chose à vivre et c’est ce que nous allons lire.

L’auteure alterne brillamment passé et présent. Ainsi nous savons qui était chacun dans le passé et ce qu’il est devenu aujourd’hui. Nous entrons dans l’intimité de leurs pensées et de leur histoire non avouée. Nous retrouvons alors les personnages d’Olga, la grande sœur de Tatiana et de Lensky, le petit copain d’Olga et meilleur ami d’Eugène. Chacun apporte quelque chose à cette histoire d’amour loin d’être simple. Au fond, Songe à la douceur nous offre une double histoire d’amour : Eugène et Tatiana il y a 10 ans, les deux mêmes aujourd’hui. Nous entrons au plus profond de leur cœur et rien ne nous est épargné, pas de pudeur, mais point de vulgarité pour autant. Ajoutant un humour décapant, notre écrivain s’adresse parfois à nous de manière caustique et efficace, sarcastique et pourtant véridique, avouant des choses tues pour préserver l’image qu’on se donne. Mais les secrets inavoués ne demeurent- ils pas ceux qui viennent déchiqueter l’âme en regrets et « Et si? ». Car Songe à la douceur s’incarne aussi un peu en cela, ces fameux « Et si ». Et si Eugène avait dit oui à Tatiana il y a 10 ans où en seraient-ils aujourd’hui?

Songe à la douceur décortique l’amour, sa composition, ses débuts, son flétrissement. Les années passent et la routine prend le dessus sur la passion des prémices. Nous assistons aussi aux premiers émois adolescents, les premières déceptions, ce que l’on croyait être le grand amour et qui en fait n’était rien de plus qu’un coup de cœur parmi tant d’autres. Premier amour et apprentissage du chagrin se côtoient intimement passant de l’insouciance à la tristesse, de la légèreté à la tragédie. L’écriture se veut forte, mais aussi pleine de douceur, d’intelligence et de vérités. Le format « en vers » incarne un pari risqué, mais qui s’avère gagnant ici. C’est bien là toute la force et l’originalité du roman, mais l’idée ne saurait être complète si la plume ne se mettait pas à la hauteur du concept. Clémentine Beauvais réussit ici à signer un livre addictif, doux, beau, qu’on ne veut plus quitter. Nous songeons à la douceur de l’amour et gardons en tête l’histoire de Tatiana et Eugène, ces deux personnages que nous avons rencontrés au détour d’une rue et dont on nous a conté des instants sous une forme fascinante, en vers et à l’aide d’une mise en page hallucinante. Magnifique poésie des regrets, de la beauté du moment présent, de l’amour, de la vie, de la sensibilité, des choix, des occasions, des rencontres… Une expérience inédite à découvrir absolument, il se pourrait bien que vous n’ayez jamais rien lu de pareil.

enbrefSensibilité et drôlerie se côtoient intimement dans ce roman-bijou à la douceur sucrée des premiers amours. Clémentine Beauvais parvient à nous raconter, en vers, la double histoire d’amour d’Eugène et Tatiana. Cette réécriture fascinante bascule le lecteur dans un monde poétique et initiatique, sarcastique et véridique. Une expérience littéraire inédite. Magistrale.

MANOTE

19/20

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24 réflexions sur “[Chronique] Songe à la douceur de Clémentine Beauvais

  1. Erika dit :

    Quand j’ai vu la couverture je ne m’attendais pas du tout à ce genre de livre. Mais au final, au vu de ta chronique, j’ai encore plus envie de le lire ! C’est donc définitif, il va dans ma wish-list ! Je suis impatiente de pouvoir découvrir cet OLNI comme tu dis ; )

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    • Pikobooks dit :

      Pour ma part, j’avais insisté pour que ce roman soit aussi placé en littérature adulte, car j’estime qu’il peut être apprécié par des lecteurs qui ne viennent jamais au YA. Tente ta chance, au pire, tu sauras. Hihi.

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  2. Pikobooks dit :

    Je suis tellement d’accord avec toi ! J’ai été happée par ce roman, il y a… des merveilles comme ça qui donne le sourire rien qu’à les évoquer. Quel beau roman et quelle belle leçon de littérature dans la simplicité d’une poésie sans chichi.

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