[Chronique] Ainsi fleurit le mal de Julia Heaberlin

ainsifleuritlemalPublié aux éditions Presses de la Cité – 8 septembre 2016 -560 pages

Merci à Netgalley France et Presses de la Cité pour cette lecture

resume

« J’ai toujours pensé que la mort avait quelque compte à régler avec moi. »
À seize ans, Tessa est retrouvée agonisante sur un tas d’ossements humains et au côté d’un cadavre, dans une fosse jonchée de milliers de marguerites jaunes aux yeux noirs. Partiellement amnésique, seule survivante des « Marguerite » – surnom que les journalistes ont donné aux victimes du tueur en série –, elle a contribué, en témoignant, à envoyer un homme dans le couloir de la mort. Terrell Darcy Goodwin, afro-américain, le coupable parfait pour la juridiction texane.
Presque vingt ans ont passé. Aujourd’hui, Tessa est une artiste et mère célibataire épanouie. Si elle entend parfois des voix – celles des Marguerite qui n’ont pas eu sa chance –, elle est toutefois parvenue à retrouver une vie à peu près normale. Alors, le jour où elle découvre un parterre de marguerites jaunes aux yeux noirs planté devant sa fenêtre, le doute l’assaille… Son « monstre » serait-il toujours en cavale ? La narguerait-il ?

MONAVISV2Tessa vit dans une paisible ville du Texas avec sa fille, adolescente, Charlie. Mère célibataire et artiste, elle parvient à mener une existence à peu près normale, en dépit de son terrible passé. Oh bien sûr, celui-ci n’est jamais bien loin. Tessa entend parfois les Marguerite… et puis quand des marguerites jaunes aux yeux noirs apparaissent, fraichement plantées, devant sa fenêtre, le fragile équilibre de la trentenaire vacille. Dix-huit ans plus tôt, la jeune Tessie gît dans une fosse auprès d’ossements et à proximité du cadavre de Merry. Autour du carnage, les marguerites jaunes aux yeux noirs apportent un contraste saisissant à la scène macabre. Seule rescapée, Tessie devient l’unique espoir de rendre justice aux Marguerites  -nom donné par les journalistes aux victimes-  et d’incarcérer le coupable. Pourtant, profondément traumatisée, l’adolescente ne parvient pas à se souvenir de l’assassin. Sous la pression du procès imminent, mais aussi sous le harcèlement de la presse, Tessa cède. Le système judiciaire texan, ostensiblement raciste, la bouscule pour extraire les mots qui pousseront le coupable idéal derrière les barreaux, un Afro-Américain du nom de Terrel Darcy Goodwin. Alors que l’heure de l’exécution approche, Tessa s’interroge et souhaite connaître la vérité. Parce que les Marguerite le lui demandent. Parce que personne ne mérite de mourir à la place d’un monstre.

Ce thriller psychologique se veut captivant dès le départ. Raconté du point de vue de Tessa, le récit alterne entre passé et présent. Le passé se consacre à l’histoire d’une adolescente pourtant ordinaire, généreuse et altruiste. Tessie ne quitte jamais son extravagante et délurée amie Lydia Belle. Après la tragédie, Lydia aidera à sa façon, son amie en parcourant les coupures de presse frénétiquement, ainsi que les histoires sordides de tueurs en série. Mais Tessie ne sait rien et ses thérapies échouent. Jusqu’au jour où elle rencontre le bon psychiatre et qu’il la prépare au procès. Les chapitres au présent incarnent une véritable course contre la montre. Si le coupable est derrière les barreaux, alors qui laisse ces fleurs ? Persuadée de son erreur et aidée d’une équipe formidable, Tessa va avancer. Les révélations, souvent portées par une scientifique talentueuse, se déchainent. Mais ce livre ne saurait être une simple enquête et nous conduit bien plus loin. Jouant sur les émotions et les sentiments, l’auteure nous entraine sur de nombreuses fausses pistes et désillusions. Il s’avère alors impossible de deviner l’identité du coupable jusqu’à la grande révélation finale ! Mais peut-on stopper la machine judiciaire américaine et empêcher une exécution ?

L’écriture, vive et habile, ne laisse que peu de temps aux tergiversions. Avec justesse, l’auteure retranscrit les failles d’un procès déjà joué d’avance et l’absurde capacité de la justice à faire condamner un innocent pour clore le dossier. Sans donner de leçon de morale, la plume nous invite à une réflexion pertinente sur la présomption d’innocence, la culpabilité d’une survivante et la légitimité de la peine de mort. Basant son histoire au Texas, il apparaît indéniable de laisser s’incarner une justice profondément raciste. Ce système demeure prêt à tout pour classer les dossiers, y compris envoyer un innocent dans le couloir de la mort. De plus, la réflexion s’axera également autour de la vie après le drame, cette reconstruction fragile et cet équilibre précaire, le tout illustré d’une manière incroyable par notre survivante. Cette notion de reconstruction nous est offerte au travers de Tessa, fuyant la presse et exécrant le voyeurisme, elle choisit assurément de conserver un certain anonymat pour vivre en paix et protéger sa fille. Accordant sa confiance avec peine, elle tend justement à surprotéger son enfant. Tessa incarne une femme incroyablement forte à laquelle le lecteur ne peut que s’attacher. Ne nous incitant jamais à la pitié, la trentenaire raconte et se souvient, et, rapidement, la culpabilité l’assaille. L’avocat avec lequel elle collabore apportera une certaine dynamique, mais également une douceur bienvenue tout en portant un regard intéressant sur l’affaire. Jamais il ne manquera de respect à notre Marguerite. Nous sommes invités à comprendre le désarroi d’une adolescente qui ne voulait qu’oublier et aller de l’avant, mais qu’on forçait à se souvenir. Mais aussi une adolescente qui ne pouvait vivre sans la présence l’approbation de sa meilleure amie, Lydie, depuis envolée de sa vie. La science occupera une place déterminante dans l’avancée d’une enquête tardivement déterrée. Pour Tessa, l’espoir prend forme : connaître le nom des victimes tombées dans l’anonymat.

La construction narrative permettra au lecteur de vivre les moments les plus sombres de Tessie et d’apprendre à la comprendre. Les immersions dans le présent se voudront plus angoissantes, nous sentons que le danger s’installe, le doute persiste et la culpabilité ressurgit. En même temps, les interrogations perturbent la jeune femme alors que le compte à rebours devient de plus en plus oppressant. Le récit laisse monter tension et angoisse sans permettre au lecteur de s’échapper et quand surgit la vérité, cette révélation finale habilement orchestrée, ne n’avons rien eu le temps de voir venir. L’auteure a su maintenir l’attention de son lecteur sur près de 600 pages, d’une manière prodigieuse et nous ne pouvons que nous incliner devant son efficacité à semer le doute… à défaut de semer des marguerites aux yeux jaunes.

enbref

Ainsi fleurit le mal incarne le thriller psychologie à la perfection. Loin d’une intrigue cousue de fil blanc, l’auteure nous entraine dans les entrailles d’une sombre enquête aux côtés d’une survivante. La question de la légitimité de la peine de mort s’inscrit en filigrane, et ce, avec la plus grande justesse. Un suspens préservé et une tension montante permettent au récit de devenir haletant, captivant et surprenant. À découvrir et vous ne regarderez plus jamais les marguerites aux yeux jaunes de la même manière…MANOTE

17/20

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45 réflexions sur “[Chronique] Ainsi fleurit le mal de Julia Heaberlin

  1. Vampilou fait son Cinéma dit :

    Alors déjà la couverture est absolument sublime ! Et ensuite, je suis littéralement fan des thrillers psychologiques, alors forcément, je suis plus que tenter 😀

    J’aime

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