[Chronique] M pour Mabel de Helen Macdonald

MpourMabel

Publié aux éditions Fleuve – Août 2016 – Rentrée littéraire – 380 pages

 

resumeEnfant, Helen rêvait d’être fauconnier. Elle nourrit des années durant son rêve par la lecture.
Devenue adulte, elle va avoir l’occasion de le réaliser.

De manière brutale et inattendue, son père, journaliste qui a marqué profondément sa vision du monde, s’effondre un matin dans la rue.
Terrassée par le chagrin, passant par toutes les phases du deuil, le déni, la colère, la tristesse, Helen va entreprendre un long voyage physique et métaphysique. Elle va se procurer un rapace de huit semaines, le plus sauvage de son espèce, Mabel. Réputé impossible à apprivoiser. Elle va s’isoler du monde, de la ville, des hommes. Et emprunter un chemin étonnant.

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M pour Mabel est issu d’une tradition littéraire anglo-saxonne, et d’un genre nommé Nature Writing. Ce style, né aux États-Unis consiste à mêler observation de la nature et considérations autobiographiques. Si c’est la couverture qui a attiré mon œil en tout premier, la 4e a suscité mon intérêt pour le thème du deuil. Étant moi-même dans un lent processus de deuils (oui au pluriel), j’ai eu envie de voir comment Helen Macdonald, qui écrit ici son expérience, a vécu les différentes et douloureuses étapes. De plus, particulièrement sensible à la cause animale, j’ai souhaité en savoir plus sur la fauconnerie et sur ce lien qui, pour nous novices, apparaît invisible entre l’oiseau et son « propriétaire ». Pour préciser ma pensée, mon but n’était autre que comprendre, connaître les détails et approfondir le sujet pour savoir comment l’Homme s’attache la fidélité de l’animal. Pourquoi ce dernier, au lieu de reprendre sa liberté au premier vol, revient-il toujours au poing du fauconnier ? Conditionnement, bien sûr ! Mais comment et dans quelles circonstances ? Dans quel but ? Pourquoi vouloir posséder un oiseau si sauvage et ayant soif d’espaces et de sang, de chasse et de liberté ? Le livre a ici parfaitement répondu à mes questions, mais aura affublé un sentiment d’extrême frustration face à la thématique du deuil.

Un roman déconcertant et passionné

M pour Mabel est un roman particulièrement étrange, déconcertant. Ne soyez pas surpris de devoir lutter contre l’envie de l’abandonner, il ne se laisse pas aborder facilement et il peut s’avérer difficile de savoir comment le prendre. Pourtant, il me fut impossible de le poser ou de le délaisser durant au moins les 3/4, me délectant de la qualité de la plume, des considérations philosophiques parfois très justes et de la prouesse narrative. Elle parvient, non seulement à nous faire suivre son parcours, mais aussi celui de T.H. White, auteur d’un livre qu’Helen Macdonald n’aura de cesse de citer. Ceci alimentera son roman du récit de cet homme, qui, lui aussi, tentât d’affaiter un autour dans les années 30. Roman autobiographique, l’auteure n’oublie pas pour autant d’adopter un style pouvant se faire fluide et plein d’intelligence. Même si la fluidité ne peut se qualifier de constante, elle permet au lecteur de souffler et reprendre confiance en ce récit atypique. Helen use et abuse de figures poétiques et métaphoriques pour, au travers son parcours avec son autour Mabel, nous retracer, en filigrane, son long et douloureux travail de deuil. L’hommage à son père disparu subitement, bien que parfois trop discret, est empli d’une grâce et d’une luminosité saisissante. Helen a le cœur brisé et laisse alors, à quelques occasions précieuses, ressurgir la petite fille qu’elle fût, au travers de ses réactions ou ses souvenirs introspectifs. Helen se teste et, avec l’autour doué d’un instinct de chasseur redoutable, repousse ses limites, atteignant un stade jusqu’alors inimaginable pour elle. (NB : la végane en moi a souvent grincé des dents face au comportement de cette femme assoiffée de traque et de sang avec son autour, elle qui prétend n’avoir jamais aimé tuer…).

L’autour et le deuil

L’autour, animal majestueux et objet du désir et de l’attention d’Helen, remplit le vide laissé par son père, et va bien au-delà. La relation qui se développe ne peut pas apparaître totalement saine, et ce, même si Helen a beaucoup d’affection pour son oiseau. Le lecteur se retrouve plongé dans un face à face, dans du vocabulaire technique (et lourd, avouons-le) de fauconnerie. Il suit, presque jour après jour, les progrès de la relation de confiance (et de soumission) qui s’établit entre la femme et l’animal. Helen rend hommage à sa tradition, la fauconnerie, en nous en contant Histoire et origines, méthodes et succès, nous peignant alors un vaste tableau, à l’aide d’une multitude de références bibliographiques et étayées. Mais c’est aussi ici, une potentielle faiblesse du roman ! À trop verser dans le technique, l’auteure risque de perdre le lecteur commun et de ne susciter l’intérêt que du passionné. Celui qui ouvre ce livre pour le parcours de deuil se trouve plutôt confronté à l’histoire d’un affaitage d’autour égocentrique et à visée thérapeutique inconsciente. Elle nous abreuve de bien trop d’informations ou anecdotes des temps passés. Même si cela est écrit avec une passion déconcertante en mêlant des scènes cruelles de chasse, elle part dans trop de détails. Finalement, l’objectif de deuil, qu’on pensait primordial voir central est relégué en arrière plan, apparaissant bien trop brièvement, heureusement, dans des moments stratégiques.

Bien sûr, le dressage ou plutôt l’affaitage de l’autour incarne l’essence même du travail de deuil d’Helen. Ainsi, elle se reconnecte à la nature, voire à son animalité pour mieux se reconstruire. Elle se met face à la mort pour mieux l’apprivoiser. Mais qu’en est-il de l’oiseau ? Certes, si comme moi vous rejetez l’exploitation animale, vous éprouverez beaucoup de difficultés à cautionner la fauconnerie. Mais on ne peut nier ici l’incroyable rapport qui se construit entre la femme et l’autour, cette dépendance affective pour l’une, y voyant aussi l’occasion de réussir quelque chose, et de survie et conditionnement pour l’autre. Je ne peux évidemment pas vous dire que j’approuve, bien au contraire. Je reconnais juste à ce livre l’enseignement qu’il nous délivre sur le sujet, riche en plongées rudes et immersives dans un univers bien particulier et ancestral.

Un roman trop complexe et égocentrique

Toutefois, et malgré les points positifs de ce roman, M pour Mabel reste une œuvre bien complexe et qui nécessite un véritable effort pour être appréciée. Si ce témoignage peut toucher, il fourmille de lenteurs et longueurs qui viennent l’alourdir et le lecteur non initié à ce genre de roman risque d’y voir ici un rude découragement. Nous regretterons aussi que la fauconnière ne soit pas allée un peu plus en profondeur dans son histoire et celle de son père, nous laissant bien trop à distance, ce qui ne nous permet pas de pleinement saisir sa douleur ou ses choix. Si l’ouvrage ne fait pas dans le voyeurisme, et c’est tout à son honneur, il est regrettable de constater une certaine froideur, distance vis-à-vis du lecteur. Récit atypique, il aborde le travail du deuil au travers du dressage d’un atour. Mais si la plume se révèle incontestablement bonne, le roman souffre de trop de longueurs, métaphores philosophiques quelque peu pesantes et d’un vocabulaire trop technique, le tout alourdissant voir étouffant l’essence même de ce que le lecteur peut y chercher. De plus, trop d’introspection finit par transformer ce roman en une ode à l’égocentrisme peu agréable. D’ailleurs, n’est-ce pas égocentrique de vouloir à tout prix dresser un animal aussi indomptable ? La lecture, fastidieuse à ses heures, sera heureusement étoffée par des éléments substantiels et plus qualitatifs que les états d’âme d’Helen, grâce au récit de T.H.White, homme qui commit des erreurs, mais n’eut pas honte de l’écrire. Les interprétations philosophiques et psychologiques qu’en livre l’auteur viennent apporter un contenu intéressant au milieu de la langueur introspective.

enbref

M pour Mabel est une œuvre complexe qu’il faudra appréhender. Si la plume brille par son intelligence et sa vivacité, elle deviendra, malheureusement, parfois trop lourde ou confuse. Le thème du deuil s’avère peu présent au profit de la fauconnerie sous ses aspects techniques et des états d’âme d’une femme en quête de renaissance. Dommage que de tels défauts viennent entacher la qualité narrative.

MANOTE12/203flamants

13 réflexions sur “[Chronique] M pour Mabel de Helen Macdonald

  1. chocoplume dit :

    J’ai acheté ce livre hier et en ai dévoré déjà la moitié…si on recherche la narration d’une expérience de deuil, inutile de s’en emparer; si on voue un amour (comme moi) à ces oiseaux solitaires et sauvages, alors il faut se précipiter car la couverture du livre envoie prioritairement ce message; non seulement le vocabulaire de la fauconnerie y est très développé, mais l’expérience d’empathie obligatoire pour l’affaitement y est prodigieusement bien décrit, un vrai bijou de sensibilité et de singularité…Ma note est de 18/20§§

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