[Chronique] Nora ou le paradis perdu de Cecilia Samartin

Nora ou le paradis perdu

Publié aux éditions France Loisirs avec accord des éditions de l’Archipel – 2016 – 539 pages

resumeCuba, 1956. Nora et Alicia, deux cousines très proches et complices, vivent une enfance heureuse et insouciante. Mais la révolution éclate, et Fidel Castro accède au pouvoir. Un climat de peur, nourri par la répression, s’installe peu à peu. Nora émigre alors aux États-Unis, laissant Alicia derrière elle, qui s’apprête à vivre des heures sombres à La Havane. Tandis que Nora, bien nostalgique de son pays natal, s’accommode peu à peu de cet environnement nouveau, Alicia subit les coups durs, dans un Cuba où la situation se détériore. Grâce aux lettres qu’elles continuent d’échanger, Nora comprend que la vie d’Alicia est devenu un enfer. Elle décide alors de retourner à la Havane pour lui venir en aide. Mais ce qu’elle va découvrir à Cuba est bien loin de tout ce qu’elle pouvait imaginer.

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Cuba est sous le régime de Batista quand Nora commence son histoire, celle de l’enfance et de l’insouciance avec sa cousine Alicia. Les deux jeunes filles, aussi complices que des sœurs s’amusent et profitent de la plage. Mais bientôt, la révolution éclate et Castro va prendre le pouvoir. Un nouvel espoir qui sombre vite dans la désillusion. La répression et la peur s’installent, les valeurs de la famille de Nora sont piétinées. Une seule solution se présente alors : fuir vers les États unis. Là-bas, Nora alors âgée d’une quinzaine d’années, va découvrir une nouvelle vie et grandir avec les facilités offertes par son nouveau pays. Même si Nora reste très nostalgique de son pays, elle atteint l’âge adulte et se lance dans les études. Mais Nora ne cesse de s’inquiéter pour Alicia, restée au pays et dont les lettres sont de plus en plus sombres. Début des années 80, Nora décide de retourner au pays pour venir en aide à sa cousine. Mais elle ne s’attendait pas à trouver Cuba dans un tel état. Ce qu’elle a connu n’existe plus et la population souffre du régime castriste. La liberté n’est plus et l’insouciance a définitivement quitté nos deux cousines.

Ce magnifique roman permet d’appréhender la révolution cubaine sans tomber dans un récit purement historique et/ou documentaire. Notons que l’auteure, elle-même cubaine, a du fuir Cuba en 1962, alors âgée de 9 mois et n’a donc pu emporter aucun souvenir. Ici, elle nous peint le portrait touchant et saisissant de deux jeunes filles totalement différentes dans leur expérience de Cuba : l’une reste, l’autre part. Comme Nora, l’auteure a pu échapper aux souffrances subies par le peuple cubain, mais a pleuré ce qu’elle perdait : son pays. C’est ainsi que son roman prend une tournure profonde en laissant le lecteur s’interroger sur ce qu’elle nomme « ce délicat équilibre entre chagrin et espoir qui façonne le cœur de tout immigrant ».

Ce qui se produit à la lecture de ce roman est magique. D’une part, la beauté de Cuba vous fascine. Ensuite, vous vous interrogez sur Castro et sa manipulation. D’autre part, la révolte monte et vous avez envie de hurler face à l’injustice et à la privation de libertés. Les deux jeunes femmes sont attachantes et nous les suivons avec attention. Alicia a toujours été plus belle et plus délurée que Nora. Mais dans ce nouveau monde, les valeurs ne sont plus les mêmes. La relation fusionnelle entre les deux cousines est magnifique et sert de guide à toute notre histoire. Nora rentrera au pays dans l’espoir de venir en aide à celle qui est pour elle bien plus qu’une cousine.

Si vous ne maitrisez pas l’histoire cubaine, ce roman vous donnera des pistes, mais avec la vision de la population. Chacun subit les évènements à sa façon et nous aurons donc un éclairage très humain sur ces années sombres. Il est difficile de ne pas être émue par ce roman et les épreuves particulièrement rudes que vivent nos personnages. Mais au cœur de la douleur subsiste l’amour : celui d’une cousine, celui d’une femme pour son mari, celui d’une mère pour sa fille, celui d’une tante pour sa nièce, celui d’un mari pour sa femme déracinée. C’est donc un récit rempli d’émotions qui nous est livré, mais aussi bercé d’amour.

Ce roman puise sa force dans l’humanité. Cecilia Samartin use d’une plume habile pour nous peindre des personnages qui semblent véridiques, authentiques et parfois nous oublions alors qu’il s’agit de fiction. Fiction certes, mais bien inspirée de la réalité. L’auteure parvient à donner beaucoup de courage et de force à ses personnages, ce qui embarque le lecteur dans cette difficile quête du bonheur. Le déracinement est évoqué avec la plus grande justesse et laisse place à des pistes de réflexion intenses et pertinentes. La splendeur de l’île et l’amour de deux femmes pour leur pays parviennent à apaiser les peines et les peurs les plus intenses. Si Cecilia Samartin sait créer des personnages aux allures authentiques, elle n’en oublie pas moins de rendre hommage au pays qui a su faire naitre cette superbe histoire poignante.

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Un roman puissant qui aborde avec justesse les notions d’identité et de déracinement. Puisant dans une période très difficile de Cuba, l’auteure nous raconte une sublime histoire de courage et d’amour. Un récit touchant, poignant, portant au jour les désillusions d’un peuple sous le régime castriste.

MANOTE

19/20

5flamants


CITATIONS

« Certes, on pouvait évoquer la beauté des plages, la qualité exceptionnelle des fruits de mer et des boutiques d’El Encanto. Mais ce qu’il fallait taire, c’était ce sentiment d’avoir perdu notre âme, la souffrance de nos racines transplantées mourant d’envie de retrouver leur terre natale. Personne d’autre ne le remarquait jamais, probablement parce que nous autres Cubains étions doués pour nous adapter, et si conciliants. »

« On ne pouvait faire confiance à aucun voisin. On ne savait jamais avec certitude qui aspirait à rejoindre le Parti, et la peur, la soif de pouvoir en amenaient beaucoup à montrer du doigt des amis de toujours. »

« —Pendant que vous étiez à l’école, cet homme là a encore fait un discours de plus de six heures. Juste ciel, comment fait-il, cet homme là, pour ne pas perdre la voix—ça, je n’en sais rien.
Cela faisait à présent des semaines que Beba se refusait à dire le nom de Castro, croyant que le simple fait de prononcer son nom lui donnerait du pouvoir. »

« —Mais tu n’as pas envie de pouvoir de nouveau être libre?
—Je ne vois peut-être pas la liberté sous le même angle que toi. Au fil des ans, je me suis trouvé une forme de liberté. Celle de découvrir qu’il ne me faut pas grand chose pour être heureuse. Celle de vivre en dépassant le malheur et la peur, et de trouver l’espoir au fond de ses propres larmes. »

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