[Chronique] Nos années sauvages de Karen Joy Fowler

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Publié aux Éditons Presse de la Cité – Avril 2016 – 364 pages 

resumeIl était une fois deux soeurs, un frère et leurs parents qui vivaient heureux tous ensemble. Rosemary était une petite fille très bavarde, si bavarde que ses parents lui disaient de commencer au milieu lorsqu’elle racontait une histoire. Puis sa soeur disparut. Et son frère partit. Alors, elle cessa de parler… jusqu’à aujourd’hui. C’est l’histoire de cette famille hors normes que Rosemary va vous conter, et en particulier celle de Fern, sa soeur pas tout à fait comme nous…

MONAVISV2Nos années sauvages est sans doute le roman le plus inattendu que j’ai pu lire en 2016. À aucun moment, je n’avais imaginé dans quoi je m’embarquais. La 4e ne nous donne que très peu d’informations sur ce que nous allons lire et un conseil : ne cherchez pas à en savoir plus sur l’intrigue, c’est tellement surprenant que si vous vous faites spoiler cet élément-là, vous en perdrez le plaisir. Et croyez-moi, cela vaut vraiment le coup. C’est pour cette raison que je vais m’attacher, dans cette chronique, à ne rien vous révéler de ce précieux retournement de situation dans l’histoire.

Nos années sauvages est un livre qui va éveiller en vous tout un tas de sentiments, d’émotions, de questions. Vous pourriez même être bouleversés par cette histoire. Apprendre des choses, beaucoup. Comprendre d’autres choses, un certain nombre. Mais surtout, vous allez ressentir, compatir, secouer la tête et vous dire « mais comment ». C’est ce que ce roman m’a provoqué en l’espace de quelques heures de lecture captivante. Sachez-le, c’est un roman bourré de psychologie, et vu que c’est ma passion première et les références sur le développement de l’enfance m’ont évoqué d’agréables souvenirs d’université.

Parce que ce n’est pas évident de parler véritablement de ce roman sans en briser le charme, je cite des avis « extérieurs », recensés sur le site de l’éditeur. Notez par ailleurs que cet ouvrage s’est vendu à 2 millions d’exemplaires aux États-Unis et en Angleterre. Sachez aussi que c’est une vraie bombe à émotions que vous tenez entre les mains si vous vous le procurez.

«Il y a eu beaucoup de livres écrits sur l’amour et la rivalité fraternels, mais peu, j’en suis sûre, capables de vous déchirer le coeur et de vous bouleverser comme celui-ci… Préparez-vous à être enchanté et traumatisé.» The Times
«Un portrait touchant d’une famille américaine qui soulève en vous des questions et des sentiments inattendus : sur l’humanité, la psychologie et l’amour sous toutes ses formes.» Psychologies
«Cela fait des années que je ne me suis pas sentie autant passionnée par un livre. Quand je l’ai terminé à 3 heures du matin, je pleurais, puis quand je me suis réveillée, j’ai relu la fin et je me suis remise à pleurer.» Ruth Ozeki, auteur d’En même temps, toute la terre et tout le ciel

Ce que vous pouvez retenir des citations au-dessus pour vous faire une idée très globale de l’ouvrage sont les mots suivants : amour et rivalité fraternels, déchirer le coeur, enchanté et traumatisé. Car oui c’est ce que ce livre va produire sur vous, c’est quasiment certain. « Un portrait touchant », très touchant, très différent, et qui, oui, indéniablement va nous amener à nous poser des questions sur notre vision de l’humanité, notre psychologie et l’amour sous une forme inédite, bouleversante. Quant à ce que Ruth Ozkeki nous raconte, c’est aussi ce qu’il s’est passé pour moi. Et pourtant, même si j’étais loin d’imaginer le tournant que le livre allait prendre, ce que notre narratrice nous raconte, je l’ai étudié. Mais il y a des choses que l’humanité, honteuse, préfère cacher et quand la vérité est levée, il faut assumer et réfléchir sur notre condition même.

Notre narratrice donc, c’est Rosemary. Rosemary est un peu particulière, solitaire, un peu brisée. « Il y avait quelque chose de décalé chez moi, quelque chose qui ne sonnait pas juste, peut-être dans mes gestes, mes expressions, les mouvements de mes yeux, et certainement dans ce que je disais ». Les liens familiaux apparaissent complexes et l’on sent de suite que son histoire sera très loin d’être ordinaire. Rosemary fait tout pour mener une vie normale et rester anonyme, invisible aux yeux des autres. Car il y a des années de cela, sa vie de famille a défrayé la chronique, chose qu’elle ne veut plus jamais vivre. Rosemary va nous dresser le portrait de sa famille qu’on pourrait alors croire ordinaire. Elle va nous raconter à quel point elle était bavarde quand elle était petite. Les jeux avec son frère et sa soeur, les moments de complicité familiale. La jalousie envers sa soeur. Puis, le choc, la disparition de celle-ci. Les mensonges, les secrets, les tabous d’une famille pas tout à fait comme les autres. Rosemary est adulte désormais et revenir sur tout cela n’est pas simple. Au travers des rencontres qu’elle fera, elle sera amenée à se dévoiler, mais aussi à réaliser des choses. Faire ressurgir de douloureux souvenirs, évoquer la culpabilité, l’innocence, ces souvenirs transformés comme pour apaiser, soulager, et faire face à la terrible réalité, celle qu’elle n’aurait jamais souhaité connaître mais celle qui peut, à elle seule, la libérer. Rosemary a besoin de nous raconter l’histoire de Fern, sa soeur pas comme nous.

« Je n’avais que cinq ans lorsqu’elle disparut de ma vie, mais je me souviens d’elle. Je me souviens d’elle avec précision : son odeur, son contact, des images morcelées de son visage, ses oreilles, son menton, ses yeux. Ses bras, ses pieds, ses doigts. »

Rosemary nous entraine dans un récit à la complexité psychologique certaine. Rassurez-vous, rien d’inabordable, mais des sensations intenses, des sentiments puissants, de la colère, de la jalousie, des difficultés à s’insérer. Et puis cette surprise au sujet de sa sœur. Celle qui fera bondir votre coeur, qui vous apprendra des choses que vous ignoriez peut-être. Qui vous fera vous demander ce que nous sommes, et le but de certaines de nos actions. Avec Rosemary, parfois un peu en même temps qu’elle, vous découvrirez une effroyable réalité. Et sachez que c’est une vérité universelle. Vous ferez la connaissance de personnages passionnants. Certains très attachants, d’autres plus exubérants. Vous vivrez cette histoire pleinement avec tout ce que cela implique et non, vous n’en ressortirez pas indemne mais très certainement écorché, secoué et assurément grandi.

« Si la modestie était un trait humain, nous aurions appris depuis longtemps à nous montrer plus prudents. » Quelle phrase. Quel recul pour la comprendre, l’analyser. Des phrases percutantes, vous en aurez tout au long du roman et à vrai dire, Rosemary, la volubile Rosemary, ne cherche jamais à faire des figures de style ou philosopher. Toutes ces phrases clés, dérivent de son récit, le rendent réel, récréent son monde floué par les souvenirs construits. Car, qu’est-ce que la mémoire véritablement ? Qu’est-ce que le langage ? Nous avons tendance à oublier que certains souvenirs sont faux, que nous les construisons, élaborons des images pour nous éloigner de la vérité, plus douloureuse à affronter. « Il y a des moments où l’histoire et la mémoire semblent une brume, comme si ce qui s’était réellement passé importait moins que ce qui aurait dû arriver. »

« Le langage a cet effet sur les souvenirs : il les simplifie, les solide, les momifie. Une histoire souvent répétée est comme une photographie dans un album de famille ; elle finit par remplacer l’événement qu’elle était censée représenter. » Mais alors, si la mémoire, le langage, nous jouent des tours, le récit de Rosemary est-il fiable ? Est-elle justement une narratrice fiable ? Oui, Rosemary va mettre ses sentiments à nus pour et devant le lecteur. Elle ne va pas hésiter à nous dire quand elle s’est plantée, ce qu’elle a pu occulter, les émotions qu’elle a honte d’avoir un jour ressenties, la culpabilité qui l’étreint depuis tant d’années, la place qu’elle a toujours du mal à trouver. Rosemary est fiable mais, surtout, honnête. « Mon frère et ma soeur ont eu une vie extraordinaire, mais je n’étais pas là et je ne peux pas vous raconter cette partie de l’histoire. Je m’en suis tenue à celle que je connaissais, la mienne. Cependant tout ce que j’ai dit ne parle que d’eux, un contour à la craie de l’espace qu’ils auraient dû occuper. Trois enfants, une histoire. »

Je sais que cette chronique est déjà longue mais ce ne serait pas rendre hommage au livre si je ne terminais pas par dire que la construction de ce récit est au point. Que chaque étape, chaque ligne, chaque mot a son importance. Que le style est bon, très bon et déroutant. Car Nos années sauvages est vraiment un livre pas tout à fait comme les autres et c’est pour cela qu’il vous faut le lire, le découvrir. Nos années sauvages m’a comblée car il a couvert des aspects importants de l’humanité, de la psychologie et un autre thème important dans ma vie. Même si je n’ai pas eu le coup de coeur pour ce livre ce fut une merveilleuse, prodigieuse lecture et je ne suis pas prête de l’oublier.enbref

Nos années sauvages est un roman déroutant, surprenant, inattendu qui vous fera vous poser beaucoup de questions et vous provoquera un tsunami d’émotions différentes. Avec une narratrice un peu hors norme et une famille encore plus différente, l’auteure nous entraine dans la psychologie humaine et sa complexité mais aussi, d’une manière subtile et intelligente, dans la définition même de notre humanité. Brillant, épatant, bouleversant.

MANOTE18/20

4flamants

 

 

38 réflexions sur “[Chronique] Nos années sauvages de Karen Joy Fowler

  1. myprettybooks dit :

    Tu ne peux pas imaginer comme ta chronique me fait plaisir et comme je me retrouve à travers tes mots. J’ai aimé ce livre de tout mon coeur. Il m’a tellement tellement bouleversée, c’est incroyable. Une histoire unique et si forte… Si terrifiante aussi.

    Aimé par 3 personnes

  2. Vampilou fait son Cinéma dit :

    Eh bien, tu m’as totalement intriguée avec cet avis ma belle ! J’aime beaucoup le côté mystérieux de tout ça, ne pas savoir de quoi parle vraiment ce roman, me donne forcément envie de le découvrir 😀

    Aimé par 1 personne

  3. anouklibrary dit :

    Oh ! Que dire ? Apres cette chronique divine, qui rend un hommage magnifique à ce livre si déroutant et si perturbant. Tes mots sont fabuleux, ils mettent en lumiere une histoire si difficile à décrire mais si merveilleuse.
    J’ai eu beaucoup de mal à écrire ma chronique mais celle que tu viens de vous livrer révèle à la perfection ce roman. Je m’y retrouve totalement !
    De plus, je suis bien d’accord avec toi. Mes études en psychologie de la petite enfance m’ont permis d’aborder ce livre de manière plus facile.

    Aimé par 1 personne

  4. Cajou dit :

    Bah moi j’ai pas beaucoup aimé :/ Le retournement inattendu, oui, mais par contre je ne te rejoins pas sur la qualité du style. La première partie (jusque la fameuse p.99) est écrite avec talent avec son aspect faussement décousu, mais après, j’ai trouvé que l’auteure se perdait dans des digressions trop nombreuses, alourdissant le style 😦
    Au plaisir de te lire,
    Cajou

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