[Chronique] Tout plutôt qu’être moi de Ned Vizzini

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Publié aux éditions La Belle Colère – 2016 – 397 pages

resumeDurant l’une des séances chez son psy, Craig Gilner apprend qu’il existe une maladie mentale appelée le syndrome d’Ondine : ceux qui en souffrent oublient de respirer ; pour ne pas mourir asphyxiés, ils doivent se répéter sans cesse « respire, respire, respire ». La dépression, Graig va en faire l’expérience, c’est ce qui arrive quand on oublie de vivre.

Comme beaucoup d’adolescents, Craig est bien décidé à réussir sa vie. Il intègre l’une des plus prestigieuses prépas de New York, de celles qui font de vous un homme et assurent votre avenir. Seulement, au bout d’un an, il ne mange plus, ne dort plus, n’arrive plus à se lever, pense sans arrêt à ses devoirs, ses exams et à la jolie copine de son meilleur ami. Pour faire front à tout ça, il ne trouve d’autre solution que de fumer de l’herbe en glandant pendant des heures. Craig est pris dans une spirale d’anxiété, d’inquiétudes, de peurs qui l’acculent et le paralysent. Comment en est-il arrivé là ? Comment est-on pourré au point où la pression tellement forte et nous, si faibles que la seule solution qui s’offre à nous, c’est d’en finir ?

Dans ce roman tendre et émouvant, inspiré d’un séjour qu’il a effectué en hôpital psychiatrique, Ned Vizzini aborde ses propres démons, son long combat contre cette maladie qui l’accable depuis des années. D’un sujet aussi délicat et tabou que la dépression adolescente, Vizzini crée un livre tout à la fois drôle et empreint d’espoir.

A propos de l’auteur :692c226ae3cffc4e734368f7eeafcdb9

 

Né en 1981, Ned Vizzini commence à écrire pour la presse new-yorkaise, dont le Times, à l’âge de 15 ans alors qu’il est encore au lycée. Il publiera ensuite six livres dont Tout plutôt qu’être moi, qui sera adapté au cinéma. Parallèlement à sa carrière d’écrivain (il publie des articles dans le New Yorker et le Los Angeles Times, entre autres), il participe à l’élaboration de la série Teen Wolf, intervient régulièrement dans les librairies et les lycées pour expliquer comment l’art et l’écriture peuvent aider à surmonter les problèmes psychologiques. Le 19 décembre 2013, Ned Vizzini se jette du haut d’un immeuble de Brooklyn. Il a 32 ans, cela faisait des années qu’il se battait contre la dépression.

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« Quand te prend l’envie de te suicider, parler devient presque impossible. Rien à voir avec un quelconque problème mental – c’est physique, comme si tu étais incapable d’ouvrir la bouche. Les mots ont du mal à sortir ; on dirait des morceaux de glace pilée crachés par un distributeur et c’est plus fort que tout. 

Les gens normaux, eux, parlent de façon limpide, en parfaite synchronisation avec leurs pensées. Mais dans ton cas, les mots trébuchent et se bousculent au bord de tes lèvres dès que tu essaies de dire quelque chose. Alors, tu te tais »

Ainsi commence le roman. Le ton peut sembler donné, vous pourriez alors penser que ce roman, histoire d’une dépression va être particulièrement sombre et au fond…déprimant. Mais il n’en est rien. Si la souffrance relative à la dépression est relatée avec précision et véracité, l’auteur n’en oublie pas pour autant le sens de l’humour et la lumière dans le traitement de ce parcours. L’optimisme transpire au travers des pages, l’envie de vivre semble se battre contre chaque pensée négative au fur et à mesure de l’avancement du roman. C’est une histoire coup de poing sur un sujet très sensible et si peu reconnu. Pour beaucoup de gens, la dépression n’est pas considérée comme une véritable maladie, à tort. Ned Vizzini nous offre ici une vision « médicale » mais surtout vécue de la dépression, à l’âge où elle est sans doute la plus difficile à remarquer : l’adolescence. Comment peut-on faire la différence entre difficile passage à l’âge adulte et le petit pas qu’il y a à franchir pour sombrer dans la dépression?

Notre jeune garçon, Craig, subit une énorme pression sociale liée à ses études et aspirations futures. Il ne vivait que pour un concours et quand il finit par le décrocher et intégrer la prestigieuse école dont il rêvait son monde s’écroule. Ses résultats ne sont pas à la hauteur, il ne se sent pas à la hauteur. D’ailleurs, Craig a une estime de lui même très basse. Malgré le soutien d’une famille aimante il sombre et ses symptômes prennent de l’ampleur. Jusqu’au jour où Craig n’a qu’une envie : mourir. Ce serait si simple…C’est ce qui va l’amener à passer quelques jours en hôpital psychiatrique, séjour marqué par des rencontres et une envie de reconstruction. La plume de l’auteur est juste fabuleuse pour traiter avec finesse, humour et lumière d’un sujet aussi grave, aussi sombre que la dépression. Notre jeune dépressif garde un sens de l’humour à toute épreuve, de l’auto-dérision alors qu’il est au plus mal. Au fond, la dépression, c’est ne plus savoir vivre et Craig n’a qu’une envie : réapprendre à vivre. Comprendre qui il est, faire des choix, progresser, changer. Sortir la tête de l’eau, se trouver. La dépression qui est traitée ici n’est pas une simple ou ordinaire crise d’adolescence mais bel et bien une vraie maladie. Peu de gens savent que la dépression « ce n’est pas dans la tête » et qu’il ne suffit pas de vouloir s’en sortir pour y parvenir. Ici, l’auteur nous fait bien passer le message et ne néglige en aucun cas le support médical, le suivi psychothérapeutique et l’appui des médicaments le temps de remonter.

Tout est beau dans ce livre, de l’histoire de Craig aux rencontres qu’il fera. Des sentiments naissants, à l’abnégation. Craig va beaucoup évoluer au cours de ce roman et toucher profondément le coeur du lecteur. Bien sûr quand vous connaissez le tragique destin de l’auteur, le roman n’en est que plus poignant. Alors que ce livre parle de guérison, d’espoir et de combat pour la vie, alors que l’auteur faisait des conférences sur la guérison de la dépression grâce à l’art, nous savons qu’il a perdu le combat face à de nombreux assauts de la maladie et qu’il a mis fin à ses jours en 2012. Mais, ce sujet n’étant absolument pas évoqué dans le livre, ce n’est pas ce que vous retenez de votre lecture. Non ce qui transperce l’ombre, la noirceur du monde et du quotidien brumeux de Craig c’est un rayon de soleil qui prend bien des formes. L’amour, les premiers sentiments, les rencontres, les différences, les contacts, l’art, trouver ce pour quoi il est fait, s’accepter, lâcher prise, respirer, vivre.

La structuration du récit est très pertinente en plus d’une narration à la première personne. En effet, l’histoire de Craig est divisée en « étapes » : Là où j’en suis, Comment j’en suis arrivé là, Baboum, L’hôpital puis chaque journée passée dans cet hôpital. La plume de l’auteur est captivante, et on sent vraiment la (malheureuse) maîtrise du sujet. Nous ressentons les émotions de Craig, nous les palpons, les comprenons. Pour les lecteurs ne connaissant pas la dépression, ce qu’elle induit, ce qu’elle est et ses conséquences sur le quotidien, l’auteur répond avec justesse à toutes les questions que l’on pourrait se poser. Les personnage secondaires apportent tous une contribution intéressante à l’histoire, à l’évolution de la maladie (qu’il sombre ou qu’il avance) de Craig et nous livre une formidable leçon de vie. L’auteur passe un message d’espoir au travers des moments sombres de son héros tout en y affrontant ses propres démons. Il est très rare qu’un livre parle aussi bien d’un sujet aussi dur, lourd et même tabou dans notre société où la performance est de mise, dans un monde qui ne nous laisse plus le temps de nous poser pour l’essentiel : vivre. Au travers des choix de Craig, de ses découvertes et de son évolution, le lecteur est touché, s’attache à ce jeune homme et garde espoir pour lui et son avenir. Les patients de l’hôpital ont aussi pour certains une histoire à nous transmettre sans leçon de morale ni récit sombre. Tout sonne incroyablement juste, vrai. Souhaitons à notre jeune Craig une meilleure fin que celui qui l’a crée mais vu le récit, c’est à n’en pas douter. Se battre, la joie de vivre vaincra.

Vous l’aurez compris, j’ai eu un véritable coup de coeur pour ce livre. C’est vraiment une histoire que j’avais besoin de lire et que je relirai. Même si pour l’auteur l’écriture n’a pas suffi à être salvatrice (nous ne savons pas ce qu’il vivait donc aucun jugement dans cette phrase), nous pouvons apprendre beaucoup de ce roman aux notes de vécu. A lire par les parents qui s’inquiètent pour leurs adolescents, à lire par les adolescents qui s’interrogent sur ce qu’ils ressentent, à lire par vous qui voulez comprendre cette maladie qu’elle vous touche ou touche vos proches. A lire par ceux qui veulent lire un fabuleux roman traitant d’un sujet lourd sans jamais oublier l’espoir. A vous qui culpabilisez d’être malade, vous n’avez pas à le faire. A vous qui pensez que vous n’avez aucune raison d’être dépressif et ne comprenez pas votre maladie, lisez ce livre, il n’y a pas besoin d’un contexte horrible pour être malade.

 

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Un roman tout en émotions et optimiste traitant de la dépression d’un adolescent qui nous raconte son séjour en hôpital psychiatrique où il réapprend à vivre au contact des autres. Une histoire poignante sur un sujet dur mais traité avec humour et lumière. Bien sûr quand on connaît le destin de l’auteur on ne peut s’empêcher d’être bien plus ému et touché par ce récit qui sent le vécu dans les sensations et descriptions de la dépression.

MANOTE

20/20

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Je tenais à adresser un petit coucou à Léa et My Pretty Books grâce à qui j’ai découvert ce roman et eu envie de le lire mais aussi grâce à qui j’ai découvert une maison d’édition dont le concept me plaît énormément. Je peux déjà vous dire que j’ai fait l’acquisition d’un autre ouvrage de la collection. 


 

CITATIONS

NB : j’ai noté beaucoup de citations de ce roman. Ceux ou celles qui connaissent ou ont connu la dépression s’y retrouveront forcément. Il est évident que l’auteur savait vraiment de quoi il parlait en écrivant cette histoire et qu’on y retrouve son vécu, indéniablement, même si le personnage est autre que lui même.

  • « – Les pensées suicidaires ?

J’ai de nouveau hoché la tête. Le docteur Barney m’a regardé droit dans les yeux, en faisant la moue. Pourquoi prenait-il les choses tellement au sérieux ? Qui n’a jamais pensé au suicide étant gosse ? Comment peut-on grandir dans ce monde et ne pas y penser une seule fois ? C’est une voie que beaucoup de gens célèbres ont choisi d’emprunter, après tout : Ernest Hemingway, Socrate, Jésus…Et d’ailleurs même avant le lycée, j’avais pensé que ce serait la seule chose à faire si je devenais célèbre un jour. […]

– Je pensais que… tant que vous n’aviez pas envisagé le suicide, vous n’aviez pas vraiment vécu, ai-je expliqué. Je me disais que ce serait bien d’avoir un bouton reste dans la vie, comme dans les jeux vidéo, pour pouvoir tout recommencer à n’importe quel moment en empruntant un autre chemin.

– J’ai l’impression que ça fait longtemps que tu te bats contre cette dépression, a fait remarquer le docteur Barney.  »

  • « – Sais-tu comment fonctionne la dépression ?

– Oui. » L’explication était fort simple. « Il y a des substances chimiques dans le cerveau humain qui transportent des messages d’une cellule cérébrale à l’autre. On appelle ça des neurotransmetteurs. Et l’un d’eux s’appelle la sérotonine.

– Très bien.

– Les scientifiques pensent qu’il s’agit du neurotransmetteur lié à la dépression…Les gens avec un déficit de sérotonine ont plus de chances d’être sujets à la dépression. […] Et donc ai-je continué, après que la sérotonine a passé son message d’une cellule à l’autre, elle est aspirée par la cellule cérébrale de départ afin de pouvoir être réutilisée. Mais le problème, c’est que parfois les cellules du cerveau sucent trop – je glousse- et ne laissent pas assez de sérotonine dans votre système pour véhiculer les messages. Il existe des drogues pour corriger ça, des inhibiteurs sélectifs de recapture de sérotonine qui empêche le cerveau d’en aspirer trop. On se sent mieux en les prenant. »

  • « On ne guérit pas de la vie […] On la gère »
  • « Alors bientôt, les gens auront des crises encore plus jeunes. On peut même imaginer que les médecins ausculteront chaque enfant à la naissance en se demandant s’il est apte à vivre dans le monde, s’il est équipé pour surmonter ces épreuves ; s’ils décident qu’il n’a d’ores et déjà pas l’air heureux, ils le mettront sous antidépresseurs, et l’entraineront sur la voie de la consommation à outrance. »

NedVizzini

Ned Vizzini

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32 réflexions sur “[Chronique] Tout plutôt qu’être moi de Ned Vizzini

  1. sanasan dit :

    Sujet très difficile mais oh combien intéressant. Une amie rencontre de grave difficultés avec son ado et le sujet me parle beaucoup, puisqu’on en discutait il y a encore à peine une semaine. Je vais lui parler de ce roman tiens!

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  2. Vampilou dit :

    Alors là, je suis totalement conquise ! J’aime déjà beaucoup les romans sur ce sujet particulièrement difficile, mais encore plus lorsqu’ils ne tombent dans le pathos, alors je note 😀

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    • BettieRose dit :

      Oui c’est la force de l’auteur de ne pas tomber dans la pathos. Les livres dépressifs y’en a des tas. Ici on parle d’un ado dépressif et même profondément puisqu’il est au stade des idées noires et suicidaires mais pourtant il n’y a pas la moindre seconde de pathos. Tout sonne vrai mais avec humour. Le recul dont fait preuve le narrateur est époustouflant.

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  3. Lady's Blog dit :

    tout ce qui a un lien de près ou de loin avec la psycho j’aime…. Je suis fascinée par les mystères humains, ce rien qui fait qu’une personne perd les pédales, ou s’en sort, j’aime comprendre, analyser… On peut être tous touchés de près ou de loin… On connait tous quelqu’un qui a malheureusement sombré dans une dépression plus ou moins grave… Cette maladie n’est pas à banaliser… Elle peut être non seulement un handicap pour ceux qui la vive, mais aussi tout l’entourage… comme toute maladie mentale ou non…
    Alors tu connais déjà ma réponse : je le note ce livre

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    • BettieRose dit :

      Ton commentaire prouve clairement ton intérêt pour la question. A une époque c’était honteux d’avouer notre dépression et d’ailleurs à l’heure actuelle c’est encore délicat et les jugements tombent tellement vite, tellement violents. Comme c’est une maladie qui ne soit pas toujours de l’extérieur les gens ont tendance à croire que ça va. Et oui c’est un handicap pour le malade ET son entourage qui doit malheureusement composer avec et ça, c’est vraiment pas facile pour eux. J’espère qu’il saura te toucher ce livre. Bisous toi

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  4. myprettybooks dit :

    Je suis si heureuse de voir que tu as aimé, c’est merveilleux! Ta chronique est magnifique, très juste et développée, tu rends vraiment un bel hommage à ce roman. J’espère que les autres romans de La Belle Colère te plairont mais je n’en doute pas 🙂 Bisous

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    • BettieRose dit :

      Merci toi ! Disons que c’est un sujet qui je connais très bien et que ce livre est tellement beau.
      J’ai reçu Dieu me déteste que j’ai trouvé d’occasion. J’ai aussi Vous parler de ça mais aux éditions France Loisirs, cadeau de ma maman qui m’offre tout plein de livres 🙂

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