[Chronique] De bons voisins de Ryan David Jahn

debonsvoisinsPrésente édition publiée chez Babel Noir – 2013 – 272 pages

resume

A quatre heures du matin le 13 mars 1964, à New York, dans le Queens, une jeune femme qui rentre chez elle est agressée dans la cour de son immeuble. Ses cris résonnent dans les appartements alentour, mais personne n’appelle les secours. Concentré sur deux heures, De bons voisins raconte les derniers instants de cette femme. Mais c’est aussi le récit de ce qui se passe chez différents voisins, témoins inertes de son calvaire. C’est enfin l’histoire de la ville, de ses nuits faussement calmes, de sa violence aveugle. Ryan David Jahn s’empare ici d’un fait divers réel, le meurtre de Kitty Genovese, qui a défrayé la chronique dans les années 1960 et donné naissance à la notion « d’effet du témoin » : lors d’une situation d’urgence, les témoins sont d’autant moins susceptibles d’intervenir qu’ils sont nombreux. Usant de toutes les ressources du roman pour interroger cette criminelle passivité, l’auteur mène de concert de multiples fils narratifs, les entrecroise avec un art consommé du récit et tisse le sordide canevas de nos démissions ordinaires

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Voici une lecture surprise et surprenante. En fait, il y a quelques temps sur Amazon, pour l’achat de deux livres de la collection Babel noir acheté, le troisième était offert (au choix parmi deux titres) et j’ai opté pour De bons voisins. Le fait que cela se passe dans les années 60 m’intéressait bien sûr (surtout que je chronique brièvement des livres pour le magazine papier Pure Vintage). Et ce roman est surprenant car pas du tout ce à quoi je m’attendais. Le récit se base, tristement, sur un fait divers mais réel, celui du meurtre de Kitty Genovese, ayant donné naissant à « l’effet du témoin » : lors d’une situation d’urgence, les témoins sont d’autant moins susceptibles d’intervenir qu’ils sont nombreux. C’est ce que va nous démontrer l’auteur au travers de multiples fils narratifs le temps d’une nuit, le temps d’un crime auquel ont assisté, passifs les témoins du drame.

Nous sommes dans les années 60, à New York dans le Queens. 13 mars 1964 précisément. Kat Marino, serveuse rentre tard chez elle, aux alentours de 4 heures du matin et est agressée sauvagement au couteau par un inconnu. Les voisins alertés par le bruit regardent par leur fenêtre et assistent à l’agonie de la jeune femme. Pourtant, personne ne contacte la police…pensant que quelqu’un d’autre l’a déjà fait. Kat, elle, voit les voisins à leur fenêtre et prie pour qu’ils l’aident. Mais personne ne viendra à son aide, la laissant agoniser dans un bain de sang. Une heure plus tard, son agresseur qui n’avait pas pu finir sa besogne revient l’achever. Pourquoi la jeune femme n’a-t-elle reçu aucune aide ? Comment est-ce possible que cet homme ait pu revenir achever son travail sans qu’aucun voisin ne lève le petit doigt ?

L’auteur a une plume percutante, vive, saisissante et cruelle. Nous assistons, passivement nous aussi à l’assassinat d’une pauvre femme, choisie au hasard. Nous suivons, impuissants son agonie. Nous plongeons pendant 2 heures dans ce New York sombre, dans ce quartier et ses rues malsaines. Nous avons envie de crier aux voisins d’appeler les forces de l’ordre ou une ambulance. Mais nous savons bien sûr que personne n’en fera rien. Pourquoi ? Parce que chacun pense que l’autre le fait. Parce que chacun est en train de vivre sa propre vie, démêler le propre bazar de son existence. L’auteur nous fait pénétrer dans les appartements et les vies sordides et nous peint également un tableau social de l’Amérique des années 60, son racisme quotidien, ses flics corrompus, ses mœurs particuliers. Chaque voisin porte un poids, un secret. Cette nuit illustre l’égocentrisme des gens mais également la passivité face à la violence. Nous sommes en 1964, mais quelque part, on ne peut s’empêcher de penser que rien n’a vraiment changé depuis. Sauf que désormais les gens préfèrent filmer avec leur smartphone plutôt que d’appeler des secours ou d’intervenir. A l’époque, on se cachait derrière le rideau en priant pour que l’horreur de la scène soit vite balayée avant le lever du jour.

Mais au petit matin, la jeune femme est toujours là, entre la vie et la mort. En deux heures, sa vie a basculé. En 2 heures elle a connu le pire et la passivité des êtres humais qui l’entourent. Elle s’est sentie abandonnée. Le seul homme « bon » de l’histoire revient d’une nuit sordide et est profondément choqué de l’absurdité de la scène, de la passivité des voisins, réunis dans la cour et ne faisant rien. Ce roman, mêle avec brio plusieurs fils narratifs, les imbrique et nous conduit vers une fin tragique. Nous sommes impuissants. Nous sommes choqués par ce livre et nous sommes amenés à réfléchir. C’est une sacré claque. Moi qui m’attendait à une sorte d’enquête policière, genre interrogatoire de chaque voisin, il n’en est rien. Nous traversons les fenêtres et assistons à des scènes du quotidien : ménage en crise, jeune homme enrôlé pour la guerre qui ne supporte plus de s’occuper de sa vieille mère malade, couple échangiste pour qui tout tourne mal, homme n’assumant pas son homosexualité et se cachant derrière une vie « virtuelle » etc…Nous sommes au cœur d’un quotidien à la fois banal et assourdissant. Pendant l’agonie d’une femme, chacun reste centré sur ses propres petites histoires.
enbref

Un roman assez bref mais suffisamment long pour nous glacer le sang. Nous assistons, impuissants à l’agonie d’une jeune femme et à la passivité de ses nombreux voisins témoins de la scène. Une histoire qui s’inspire malheureusement de faits réels. L’auteur a su nous replacer dans le contexte social des années 60, à nous faire traverser la fenêtre des voisins et nous faire partager des instantanés de vie mais surtout  à nous plonger dans l’horreur de l’égocentrisme humain et de « l’effet du témoin ». Un fait qui pourrait très bien être actuel, à l’heure où les gens préfèrent filmer avec leur téléphone que prévenir les forces de l’ordre. Une claque, un roman noir terriblement bien construit et enlaçant les fils narratifs avec brio.

MANOTE

16/20

 

11 réflexions sur “[Chronique] De bons voisins de Ryan David Jahn

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