[Chronique] Camille, mon envolée de Sophie Daull

camillemonenvolee

Paru aux Editions Philippe Rey – 2015 – 192 pages

resume
Dans les semaines qui ont suivi la mort de sa fille Camille, 16 ans, emportée une veille de Noël après quatre jours d’une fièvre sidérante, Sophie Daull a commencé à écrire.
Écrire pour ne pas oublier Camille, son regard « franc, droit, lumineux », les moments de complicité, les engueulades, les fous rires ; l’après, le vide, l’organisation des adieux, les ados qu’il faut consoler, les autres dont les gestes apaisent… Écrire pour rester debout, pour vivre quelques heures chaque jour en compagnie de l’enfant disparue, pour endiguer le raz de marée des pensées menaçantes.
Loin d’être l’épanchement d’une mère endeuillée ou un mausolée – puisque l’humour n’y perd pas ses droits –, ce texte est le roman d’une résistance à l’insupportable, où l’agencement des mots tient lieu de programme de survie : « la fabrication d’un belvédère d’où Camille et moi pouvons encore,
radieuses, contempler le monde ».

« Dans les jours d’après, nous distribuerons tes soixante-dix-sept peluches, une par une ou deux par deux, à des fossés dans les campagnes, à des clairières, à des rochers. C’est joli, ces ours, ces lapins, ces petits chats abandonnés sur les tapis de mousse, prenant la pluie sous les marguerites. »

MONAVISV2Quel sujet. Que d’émotions. Je ne suis pas maman et je ne me destine pas à l’être un jour. Je ne peux donc pas me glisser dans la peau de Sophie Daull pour imaginer ce que représenterai la perte de mon enfant. Je ne peux qu’imaginer. Perdre un membre de la famille, je connais. Je sais ce qu’est le deuil, cette terrible épreuve par laquelle il faut passer qui peut prendre des formes plus ou moins difficiles. Je sais ce qu’est le manque, le regret, l’amertume, les larmes qui n’en finissent pas. Mais je ne sais pas ce que c’est que de perdre la chair de ma chair. Et ça, sans jamais rentrer dans une intimité déplacée, Sophie Daull nous l’explique en moins de 200 pages, couvrant seulement les jours autour de la mort de Camille. Elle nous livre la brutalité des sentiments, des émotions, de la perte.

Quelle injustice : vous perdez votre épouse ou époux, on vous dit veuf ou veuve. Vous perdez vos parents, on vous dit orphelin. Mais aucun mot ne vient donner un nom à ceux qui ont perdu un enfant. Vous allez me dire, maigre réconfort que de coller une étiquette sur une douleur insupportable et innommable. Pourtant, c’est un réflexe que de vouloir se définir. Je sens que cette chronique ne sera pas comme les autres et va être moins structurée car c’est un livre qui est rempli d’émotions, qui est sublime, bouleversant. C’est une plume simple, moderne, réelle, souffrante, émotionnelle que nous rencontrons. Nous rencontrons la mort de cette jeune fille exceptionnelle, les réalités de la mort et de ses démarches administratives, des obsèques à organiser et de l’acceptation de la disparition de l’être aimé.

Camille, 16 ans. Vacances de Noël. Très forte fièvre. Les médecins : c’est la grippe, y’en a plein on se déplace pas, du Dafalgan et joyeuses fêtes. Mais Camille a mal, tellement mal qu’elle peine à bouger, à manger. La fièvre ne cesse d’augmenter. Aucune réaction du corps médical malgré les supplications des parents. Camille perd la vie. Ce n’était pas la grippe. Injustice, erreur médicale, destin ? A aucun moment Sophie Daull, et je l’admire pour cela, n’accusera qui que ce soit ou livrera bataille contre qui que ce soit à travers ses écrits. Ce n’est pas le but de cet ouvrage. Non, elle raconte avant d’oublier comment tout ceci s’est passé. Elle raconte pour rendre hommage. Mais elle ne raconte qu’une période courte, qui va du début de la fièvre à l’enterrement de Camille. Le reste, c’est à eux de le faire.

Sophie Daull a perdu sa maman, maintenant son enfant. « Je vais inventer tes après-16 ans, ses après-45 ans. Oui, je vivrai pour trois mes envolées, je vivrai au cube, je serai l’antifantôme, l’ultraspectre, la démolie qui vit de vos restes, de vos âmes, en miettes ». Confrontée à l’insupportable douleur de la perte d’un enfant, à l’impuissance de la sauver. « Ne pas pleurer de l’avoir perdue, se réjouir de l’avoir reçue…Elle avait fait son temps de vie, même si court […]Les gens ont des phrases toutes faites tirées de leur manuel de consolation…Je ne veux pas être consolée. Je vis la coupure, la vie tranchée. C’est tout. »

C’est un récit poignant qui nous est livré sur ces pages que l’on sent imbibées de larmes mais qui ne font pas perdre le sens de l’humour à Sophie pour autant. Rester debout pour sa fille, continuer, avancer. Sans son bébé, son enfant unique. Rester un couple soudé dans la douleur. Reprendre les activités du quotidien, travailler. Sophie nous raconte tout cela, quelques semaines après la perte. « […]rien à battre du travail de deuil, lui il appelle ça le devoir de fidélité. Ça m’a fait bien plu cette formule. Je te suis fidèle. » Etre fidèle à nos morts, ne pas avoir peur d’en parler et de les nommer. Nommer leur mort et non le « après ce qui t’est arrivé ». Avancer. Dans la douleur mais dans la lumière, honorer la vie qui nous reste. Sophie Daull se montre tellement forte. C’est une maman qui sait rendre hommage à son Envolée. « Pourquoi t’es partie, mon chaton ? A quelle horreur future t’es-tu soustraite? »

Il n’est pas évident de parler de ce livre. Il faut le lire pour le comprendre, comprendre la souffrance. Mais attention, n’allez pas croire qu’il s’agit d’une histoire écrite pour vous faire pleurer. Non, Sophie Daull rend hommage à son envolée. Nous livre quantité d’émotions. Nous livre sa perte sans jamais nous demander de nous apitoyer sur son sort, il ne s’agit aucunement de l’épanchement d’une mère endeuillée mais bien comme annoncé du récit de la résistance à l’insupportable. Nous terminons le livre la gorge serrée, les larmes aux yeux et nous ne pouvons qu’envoyer nos pensées à Sophie et son mari.

 

enbref

Une lecture éprouvante mais magnifique. Sophie Daull nous raconte sans détours ni épanchement la résistance à l’insupportable, l’hommage à son envolée et l’importance de trouver à quoi se raccrocher pour avancer. Un récit sublime rempli d’émotions mais qui ne rentre jamais dans le voyeurisme. Il est impossible de rester insensible face à une telle douleur. L’hommage d’une mère à sa fille, plus beau cadeau qu’elle puisse lui faire que de raconter pour ne jamais oublier.

MANOTE

18/20


CITATIONS

« Dans les temps, les gens portaient un brassard ou des habits noirs pour signaler qu’ils venaient de perdre un proche. Cela les plaçait momentanément hors de la communauté des humains, ça forçait la distance, la délicatesse; ça offrait le privilège de ne pas être tenu de se comporter comme tout le onde, de ne pas être mal considéré si on était plus lent, plus sombre, plus solitaire, plus réservé. On était repéré comme endeuillé, et les autres nous foutaient la paix. On avait le droit d’occuper une marge. Aujourd’hui cette coutume a disparu. Je ne le regrette pas, là n’est pas la question ; mais j’éprouve, et papa aussi, ce sentiment de dissidence, d’étrangeté, de non-participation. Papa dit que ta mort ne fait pas de nous des héros, mais des originaux. »

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« Je supporte mal l’idée de te survivre un temps long comme l’oubli de ta mort.
Je supporte mal l’idée de vivre encore au moins un temps long comme ta vie, seize ans. Et pourtant mon espérance de vie statistique m’y condamne à coup sûr. »

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« Je voulais aller nulle part. Mais il n’y a pas de nulle part. Je le savais déjà mais, depuis que tu es morte, ça me manque vraiment, un endroit où disparaître. »

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« Une autre chose : nous n’avons pas de nom. Nous ne sommes ni veufs ni orphelins. Il n’existe pas de mot pour désigner celui ou celle qui a perdu son enfant. Je viens de faire un tour sur Internet : pas d’occurence dans le dictionnaire, ailleurs on propose des suggestions toutes aussi farfelues les unes que les autres…Un papa répond sur un forum « Si, j’ai un nom : je suis un mort vivant ».  »

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« Maintenant il va falloir finir d’écrire ; écrire était encore un tremblement, un spasme de ta vie dans mes mots. J’ai peur de te laisser, mais je me l’impose. Ne pas pleurnicher quatre ans quand tu t’es battue quatre jours. Tu as été si courageuse que mon courage sera dans ce tout dernier prochain point final. »

25 réflexions sur “[Chronique] Camille, mon envolée de Sophie Daull

  1. Josiane dit :

    Magnifique chronique que la tienne. Tu ne pouvais pas mieux honorer la mémoire de Camille en décrivant comme tu le fais le sublime livre écrit par sa maman concernant les quatre derniers jours de vie de son enfant… Tu sais que j’avais lu ce livre avant toi et tu sais combien il m’avait touchée, troublée, émue… émue aux larmes car je pense que nombreuses ont été les pages sur lesquelles j’ai versé des larmes… Courageuse Maman…

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  2. Vampilou dit :

    Tu as réussi à me faire pleurer avec ton sublime avis ma belle ! Bien que la maladie me touche personnellement, j’aime beaucoup ce genre de roman, peut-être justement parce que je comprends plus facilement, alors merci infiniment pour cette découverte ❤

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  3. Lady's Blog dit :

    j’aime beaucoup ce genre de lecture, éprouvante aussi soit-elle, pour le côté psychologique, parce que c’est réel, quelque chose de vécu… Le genre de livre qui te marque la mémoire… que tu refermes difficilement…
    Alors je le note et le rajoute à ma PAL.

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